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avait aussi des esprits méchants ; car le mot spirituel vient de celui d’esprit. Mais comment se fait-il que les suggestions du diable se glissent dans la pensée humaine et se mêlent de telle sorte à cette pensée que l’homme les regarde comme ses propres pensées à lui ? Qui peut le savoir ? Nous ne pouvons douter non plus que les bonnes pensées ne viennent de même sorte du bon esprit et secrètement et spirituellement. Ce qui nous importe, c’est de savoir auxquelles de ces pensées l’âme humaine consent, si c’est aux mauvaises, quand elle est privée du secours de Dieu parce qu’elle l’a mérité, ou aux bonnes, quand elle est aidée par la grâce. Déjà donc le diable avait fait naître dans le cœur de Judas le dessein de trahir son maître, que cependant il n’avait pas encore reconnu pour son Dieu. Il était venu au repas pour espionner son Pasteur, tendre des pièges à son Sauveur et vendre son Rédempteur. Tel il était venu, Jésus le voyait et le supportait : pour lui, il croyait n’être pas connu et il se trompait sur le compte de celui qu’il voulait tromper. Mais Jésus, voyant ce qui se passait dans son cœur, le faisait sciemment servir, à son insu, à l’accomplissement de ses desseins.

5. « Sachant que le Père lui avait mis toutes choses entre les mains » ; par conséquent aussi celui qui le trahissait ; car s’il ne l’avait pas eu entre les mains, il ne s’en serait pas servi comme il le voulait. Le traître se trouvait donc en la puissance de Celui qu’il voulait livrer, et du mal qu’il faisait en le livrant devait résulter un bien qu’il ne soupçonnait pas. Car Notre-Seigneur savait ce qu’il faisait pour ses amis, en souffrant avec tant de patience ce que lui faisaient ses ennemis. Et c’est ainsi que le Père lui avait tout remis entre les mains : les maux, pour en user ; les biens, pour les produire. « Il savait aussi qu’il était sorti de Dieu et qu’il retournait à Dieu » ; sans cependant avoir quitté Dieu quand il venait à nous, et sans nous abandonner ; quand il retournait à lui.

6. Jésus sachant cela « se lève de table et a quitte ses vêtements, et ayant pris un linge, il s’en ceignit. Ensuite il met de l’eau dans un bassin et commence à laver les pieds de ses disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint ». Nous devons, mes très chers frères, remarquer avec soin l’intention qu’a eue l’Évangéliste en nous parlant de cet acte d’humilité si grande de Notre-Seigneur ; il a commencé par nous donner une haute idée de sa grandeur ; c’est dans ce dessein qu’il a dit : « Il savait que le Père lui a donné toutes choses entre les mains, et qu’il était sorti de Dieu et qu’il retournait à Dieu ». Celui donc à qui le Père a remis toutes choses entre les mains, lave, non les mains, mais les pieds de ses disciples, et lui qui savait être sorti de Dieu et retourner à Dieu, il remplit l’office, non d’un Seigneur Dieu, mais d’un homme esclave. Et si l’Évangéliste a parlé d’un traître qui était venu dans la pensée de le livrer, mais que le Sauveur connaissait bien pour tel, c’est pour nous montrer le comble de l’humilité où il est descendu, en ne dédaignant pas de laver les pieds de celui dont il prévoyait que les mains allaient se souiller d’un pareil crime.

7. Est-il étonnant que celui qui, ayant la forme de Dieu, s’est anéanti lui-même, se soit levé de table et dépouillé de ses vêtements ? Y a-t-il rien d’étonnant à ce qu’il se soit ceint d’un linge, celui qui, prenant la forme d’esclave, a été trouvé semblable à un homme [1] ? Est-il étonnant qu’il ait mis de l’eau dans un bassin, pour laver les pieds de ses disciples, lui qui a répandu son sang sur la terre, pour effacer la souillure des péchés ? Qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’avec le linge dont il était ceint, il ait essuyé les pieds qu’il venait de laver, lui qui, dans la chair dont il était revêtu, a confirmé tous les dires des Évangélistes ? Il est vrai que, pour se ceindre d’un linge, il quitta les vêtements qu’il avait, tandis que pour prendre la forme d’esclave au moment où il s’anéantit lui-même, il ne quitta pas ce qu’il avait, mais il prit ce qu’il n’avait pas. Pour être crucifié, il fut dépouillé de ses vêtements, et quand il fut mort on l’enveloppa dans un linceul. Et toute sa passion a servi à nous purifier. Avant donc de souffrir les derniers tourments, il a voulu s’abaisser, non seulement devant ceux pour qui il allait subir la mort, mais encore devant celui qui devait le livrer à la mort. L’humilité est d’une importance si grande pour l’homme, que Dieu dans sa grandeur a voulu lui en laisser un exemple complet ; car l’homme aurait péri à jamais victime de son orgueil, si Dieu ne l’avait sauvé par son hu-

  1. Philipp. ii, 6, 7.