Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/607

Cette page n’a pas encore été corrigée

Dès que tu y penses, tu commences à compter ; à peine as-tu compté, que tu es dans l’impossibilité de dire ce que tu as compté. Le Père est le Père, le Fils est le Fils, le Saint-Esprit est le Saint-Esprit. Qu’est-ce que ces trois, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ? Sont-ils trois Dieux ? – Non. – Trois Tout-Puissants ? – Non. – Trois créateurs du monde ? — Non. – Le Père est-il tout-puissant ? – Oui, sans doute. – Le Fils l’est-il aussi ? – Oui, cela est certain. – Le Saint-Esprit l’est-il également ? – Il l’est autant que le Père et le Fils. – Il y a donc trois Tout-Puissants ? – Non, il n’y en a qu’un. On ne peut les compter qu’en les mettant en parallèle les uns avec les autres ; si on les considère séparément, c’est impossible. Quant à lui-même, sa effet, le Père est un même Dieu avec le Fils et le Saint-Esprit, et il n’y a pas trois Dieux ; relativement à lui seul, il est un même Tout-Puissant que le Fils et le Saint-Esprit, et il n’y a pas trois tout-puissants. Le Père n’est point le Père par rapport à lui-même, mais seulement par rapport au Fils. Le Fils n’est tel que par rapport au Père l’Esprit ne porte pas non plus, indépendamment de l’un et de l’autre, le nom d’Esprit du Père et du Fils. Je ne saurais dire ce que sont ces trois, sinon que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu, un seul Tout-Puissant. Il n’y a donc qu’un seul principe.
5. Pour vous faire tant soit peu comprendre ce que je dis, je vais vous citer des faits rapportés par la sainte Écriture. Après la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ, il monta vers son Père au moment qu’il avait choisi ; puis, dix jours s’étant écoulés, il envoya le Saint-Esprit à ses disciples réunis dans la même salle ; remplis de tous ses dons, ils commencèrent à parler le langage de toutes les nations. Ce miracle saisit d’épouvante ceux qui avaient fait mourir le Sauveur ; contrits et repentants, ils trouvèrent dans leur douleur le principe de leur conversion, et leur conversion fut pour eux la source de la foi, et trois mille hommes s’unirent au corps du Christ, c’est-à-dire aux fidèles. Un autre miracle amena à l’Église cinq autres mille hommes. Alors, on vit se former un grand peuple, animé des mêmes sentiments. Tous les membres de ce peuple reçurent le Saint-Esprit qui alluma en eux le feu de l’amour divin : sous l’influence de la charité et de la ferveur d’âme, ils formèrent une société si étroitement unie, qu’ils vendaient leurs biens et en apportaient le prix aux pieds des Apôtres, afin qu’il fût réparti entre tous, proportionnellement aux besoins de chacun ; et voici ce qu’en dit l’Écriture : c’est que, « parmi eux, il n’y avait qu’un cœur et qu’une âme pour Dieu[1] ». De là remarquez, mes frères, et apprenez à connaître le mystère de la Trinité ; comprenez comment nous disons : Il y a un Père, un Fils et un Saint-Esprit, et, pourtant, il n’y a qu’un seul Dieu. Les membres de la primitive Église se comptaient par milliers, et, parmi eux, il n’y avait qu’un cœur : ils étaient en aussi grand nombre, et ils n’avaient qu’une âme. Mais où étaient leur cœur et leur âme ? En Dieu. À bien plus forte raison doit-on trouver en Dieu la même unité. Me trompé-je dans ma manière de parler, lorsque je dis que deux hommes font deux âmes, que trois hommes font trois âmes, qu’une multitude d’hommes font une multitude d’âmes ? Je parle évidemment avec justesse. Qu’ils s’approchent de Dieu, et ils n’auront tous qu’une âme. Si, en s’approchant de Dieu, plusieurs âmes deviennent, par l’effet de la charité, une seule âme, et plusieurs cœurs un seul cœur, quel effet produit dans le Père et le Fils la source même de la charité ? La Trinité ne devient-elle pas plus étroitement encore un seul Dieu ? Selon l’Apôtre, la charité nous vient de là par le Saint-Esprit : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné[2] ». Si donc la charité, répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné, fait de plusieurs âmes une seule âme, et de plusieurs cœurs un seul cœur, à bien plus forte raison fait-elle du Père, du Fils et du Saint-Esprit un seul Dieu, une seule lumière, un seul principe.
6. Écoutons donc les paroles que nous adresse le Principe. « J’ai », dit-il, « beaucoup de choses à dire et à juger à votre endroit ». Vous vous souvenez qu’il a dit : « Je ne juge personne[3] ». Et voilà qu’il dit : « J’ai beaucoup de choses a dire et à juger à votre endroit ». Mais autre chose est « je ne juge personne » ; autre chose, « j’ai à juger. Je ne juge personne », regarde le présent,

  1. Act. 2-4
  2. Rom. 5, 5
  3. 1 Jn. 8, 15