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de dire que le Fils est principe, et de refuser au Père cette perfection.
2. Que faire alors ? Reconnaître qu’il y a deux principes ? Cela est impossible. Qu’est-ce donc ? Si le Père est principe et le Fils aussi, comment n’y a-t-il pas deux principes ? Par la même raison que nous ne reconnaissons pas deux dieux, en confessant un Dieu Père et un Dieu Fils. Il est défendu de dire qu’il y a deux dieux ; il n’est pas plus permis d’en reconnaître trois ; et, pourtant, le Père n’est pas le Fils ; le Fils n’est pas le Père ; le Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, n’est ni le Père ni le Fils. Nous l’avons appris sur les genoux de notre, mère, l’Église catholique : quoique le Père ne soit pas le Fils, quoique le Fils ne soit pas le Père, quoique l’Esprit de l’un et de l’autre ne soit ni le Père, ni le Fils, nous ne disons pas qu’il y ait trois dieux ; et, néanmoins, si l’on nous interroge sur chacun d’eux, si l’on nous demande de l’un ou de l’autre des trois s’il est Dieu, nous devons nécessairement répondre d’une manière affirmative.
3. Cette doctrine est absurde aux yeux des hommes qui concluent des choses ordinaires à ce qui ne l’est pas, des objets visibles aux êtres invisibles, des créatures au Créateur. Parfois les infidèles nous questionnent et nous disent : Reconnaissez-vous comme Dieu celui que vous reconnaissez comme le Père ? Nous répondons : Oui. – Celui à qui vous donnez le nom de Fils, dites-vous qu’il est Dieu ?­— Oui. – Celui que vous appelez le Saint-Esprit, le confessez-vous Dieu ? – Oui. – Ils ajoutent : Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont donc trois dieux ? – Non. Ils se troublent, parce qu’ils ne sont pas éclairés : leur cœur est fermé, parce qu’ils n’ont pas en mains la clef de la foi. Pour nous, mes frères, qui avons d’abord reçu, le don de la foi, qui a purifié l’œil de notre cœur, saisissons, sans rencontrer l’obstacle d’aucune ombre, ce que nous comprenons ; et ce que nous ne comprenons pas, croyons-le sans le mélange d’aucun doute ; n’abandonnons pas le fondement de la foi ; par là, nous arriverons au faîte de la perfection. Le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu ; et, cependant, le Fils n’est pas le Père, le Père n’est pas le Fils ; l’Esprit du Père et du Fils n’est ni l’un ni l’autre : et tous trois ne sont qu’un seul Dieu, tous trois ne forment qu’une seule et même éternité, une seule et même puissance, une seule et même majesté ; ils sont trois, mais ils ne font pas trois dieux. Qu’on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas ; qu’on ne me fasse point cette réponse : Qu’est-ce à dire Trois ? S’ils sont trois, il faut me dire ce qu’ils sont tous les trois. – C’est le Père, le Fils et le Saint-Esprit. – Tu viens de dire : Trois. Explique-moi donc ce que signifie ce mot Trois. – Compte plutôt toi-même ; car je parfais le nombre trois, quand je nomme le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Relativement à lui-même, le Père est Dieu ; relativement au Fils, il est le Père. Par rapport à lui-même, le Fils est Dieu ; par rapport à son Père, il est le Fils.
4. Ce que je dis des comparaisons prises parmi les choses ordinaires peuvent le faire comprendre. J’ai devant moi deux hommes, dont l’un est le père et l’autre le fils. Considéré en lui-même, celui-là est homme ; il est père dès qu’on le considère dans ses rapports avec le fils ; celui-ci est encore homme, si je ne vois que lui ; mais si je le compare à son père, il est le fils. À l’un on a donné le nom de père, à l’autre le nom de fils, sous un certain point de vue ; et, en réalité, ce sont deux hommes différents. Quant à Dieu le Père, il est le Père sous un rapport, sous le rapport du Fils ; comme Dieu le Fils est le Fils sous un rapport, sous le rapport du Père ; toutefois, il n’en est pas d’eux comme des deux hommes dont nous venons de parler ; ils ne sont pas deux Dieux. Pourquoi n’en est-il pas de même ? Parce qu’ici c’est une chose, et que là c’est une autre ; parce qu’ici c’est la divinité ; parce qu’il y a ici un mystère qu’aucune langue humaine ne peut expliquer : ici, il y a en même temps nombre, et absence complète de nombre. Remarquez-le, en effet, n’y voit-on-pas comme un nombre une Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ? Si l’on y trouve le nombre trois, qu’est-ce ces trois ? Il n’y a plus de nombre. Ainsi, tout à la fois en Dieu on trouve un nombre, et il n’y a pas de nombre. Il semblerait qu’on en trouve un, puisqu’on y trouve trois ; mais dès qu’on veut savoir ce que sont ces trois, il est impossible de compter. Voilà pourquoi le Palmiste a dit : « Notre Dieu est grand, sa puissance est sans bornes, et personne ne peut mesurer sa sagesse [1] ».

  1. Ps. 14, 6, 5