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m’a envoyé vers vous ». Il ne dit pas ici : Je suis Dieu ; ou : Je suis le Créateur du monde ; ou encore : Je suis celui qui a fait toutes choses ; ou bien aussi : Je suis celui qui a multiplié le peuple dont je veux opérer la délivrance ; il se contente de dire : « Je suis Celui qui suis », et : « Tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est », et il n’ajoute pas Votre Dieu, le Dieu de vos pères ; mais : « Celui qui est m’a envoyé vers vous ». C’était sans doute beaucoup pour Moïse, comme c’est beaucoup et bien plus encore pour nous, de comprendre ces paroles : « Je suis Celui qui suis. Celui qui est m’a envoyé vers vous ». Si Moïse pouvait en saisir le sens, ceux vers qui Dieu l’envoyait pourraient-ils jamais en connaître la signification ? Pour le moment, Dieu ne dit donc point ce que l’homme n’était pas apte à comprendre, et il ajouta ce que l’intelligence humaine était capable de saisir ; il s’exprima donc ainsi : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu a d’Isaac et le Dieu de Jacob [1] ». Ceci, tu peux le comprendre ; mais où est l’âme qui soit à même de comprendre toute la signification de ces mots : « Je suis Celui qui suis ? »
9. Et nous ? Oserons-nous élever la voix pour vous entretenir de ces paroles : « Je suis celui qui suis ? » Ou plutôt, de ces paroles que vous avez entendu sortir de la bouche même du Sauveur : « Si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans vos péchés ? » Avec des forces si petites qu’elles sont presque nulles, oserai-je essayer de donner le sens de ces paroles du Christ : « Si vous ne croyez pas que je suis ? » J’oserai, du moins, interroger Notre-Seigneur lui-même. Je vais donc plutôt le questionner que disserter sur le sens de ce qu’il a dit ; je chercherai à le saisir, au lieu de l’imaginer de moi-même ; loin de vous l’enseigner, je l’apprendrai de sa bouche ; écoutez-moi et interrogez-le vous-mêmes en ma personne et par mon entremise. Dieu, qui est partout, se trouve à côté de nous ; puisse-t-il accorder un accueil favorable à notre désir de l’interroger, et nous accorder le don d’intelligence. Car, si je parviens à comprendre quelque chose, de quelles expressions me servir pour communiquer à vos cœurs les lumières que j’aurai acquises ? Quels termes employer ? Quelle éloquence appeler à mon secours ? Quelles forces il mefaut pour bien comprendre ? Quelle facilité il me faudrait pour bien m’expliquer ?
10. Je m’adresserai donc à Notre-Seigneur Jésus-Christ ; je lui parlerai, et il m’écoutera. Je le crois présent devant moi ; nul doute en moi à cet égard, car il a dit lui-même : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles [2] ». Seigneur notre Dieu, qu’avez-vous dit en prononçant ces paroles : « Si vous ne, croyez pas que je suis ? » De toutes les choses que vous avez faites, en est-il une seule qui ne soit pas ? Le ciel, la terre, tout ce que le ciel et la terre renferment, l’homme à qui vous adressez la parole, et les anges, qui sont vos messagers, ne sont-ils pas ? Toutes les créatures sorties de vos mains sont donc ; alors comment vous êtes-vous réservé l’être lui-même, l’être que vous n’avez communiqué à personne et que vous seul possédez ? « Je suis Celui qui suis » ; ces paroles signifient-elles que tous les autres êtres ne sont pas ? Et ces autres paroles : « Si vous ne croyez pas que je suis », ont-elles le même sens ? Et ceux qui les entendaient n’étaient-ils pas non plus ? Eussent-ils été des pécheurs, ils étaient du moins des hommes. Mais que fais-je ? Qu’est-ce que l’être ? Daigne le Sauveur le dire à mon cœur, me le dire intérieurement, m’en parler dans le secret de mon âme ! Que l’homme intérieur l’entende ! Puisse mon esprit comprendre ce que c’est qu’être réellement ! Être, c’est ne subir jamais aucun changement. Une chose, n’importe laquelle (je commence, ce me semble, à expliquer, et j’ai cessé de m’enquérir ; je veux dire ce que j’ai peut-être entendu : que Dieu nous donne aux uns et aux autres la grâce de nous réjouir, moi, en écoutant ses instructions, vous, en écoutant mes paroles !) Une chose quelconque, si excellente qu’elle soit, n’existe vraiment pas dès qu’elle est sujette au changement ; l’être véritable ne se trouve pas là où se trouvent en même temps l’être et le non-être. Tout ce qui peut changer n’est plus, dès lors qu’il change ; ce qu’il était auparavant ; s’il n’est plus ce qu’il était, il a subi une sorte de mort ; ce qui était en lui précédemment a été enlevé et n’y est plus. Les cheveux d’un vieillard dont la tête blanchit, ont perdu la noirceur de leur teinte ; la beauté ne réside plus dans les traits de l’homme fatigué et courbé par l’âge ; les forces

  1. Ex. 3, 13-15
  2. Mt. 28, 20