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qui l’y a assujettie dans l’espérance ». Il dit que toute créature soupire et gémit dans le travail, chez ces hommes qui ne croient point, et qui néanmoins doivent croire. Ne gémit-elle que dans ceux qui n’ont point encore la foi ? La créature ne gémit-elle plus, n’endure-t-elle plus les douleurs de l’enfantement dans ceux qui croient ? « Et non seulement elle », dit saint Paul, « mais nous qui avons les prémices de l’esprit » ; c’est-à-dire, qui déjà servons Dieu en esprit, dont l’âme a cru en Dieu, et qui, dans cette foi, avons donné à Dieu des prémices, afin que nous suivions ces prémices qui viennent de nous. « Nous donc, nous gémissons en nous-mêmes, attendant l’effet de l’adoption qui sera la rédemption de notre corps ». Saint Paul donc gémissait, et tous les fidèles gémissent, attendant la rédemption, la délivrance de leur corps. Où gémissent-ils ? Dans cette vie mortelle. Quelle est la rédemption qu’ils attendent ? La rédemption de leur corps, qui a paru d’abord en Notre-Seigneur quand il est ressuscité d’entre les morts et monté aux cieux. Mais avant qu’elle nous soit appliquée, nous devons gémir, quelle que soit notre fidélité, quelle que soit notre espérance. Aussi l’Apôtre, après avoir dit que nous gémissons en nous-mêmes dans l’attente de notre adoption, qui sera la rédemption de notre corps, prévoyant qu’on lui objecterait : De quoi nous sert le Christ, si nous gémissons encore, et comment ce Sauveur nous a-t-il sauvé ? car celui qui gémit est en souffrance ; l’Apôtre, dis-je, ajoute aussitôt : « C’est par l’espérance que nous sommes sauvés ; or, l’espérance qui est visible n’est plus l’espérance ; comment, en effet, espérer ce que l’on voit ? Si donc nous espérons ce que nous ne voyons point, nous l’attendons par la patience »[1].
Voilà pourquoi nous gémissons, et comment nous gémissons, c’est que nous ne possédons pas, mais nous attendons l’objet de nos espérances, et jusqu’à ce que nous le possédions, nous soupirons en cette vie, parce que nous désirons ce que nous ne possédons point. Pourquoi ? Parce que « c’est par l’espérance que nous sommes sauvés ». Dès à présent, cette chair qui est la nôtre, et dont le Sauveur s’est revêtu, est sauvée, non par l’espérance, mais en réalité, puisqu’elle est ressuscitée, qu’elle est montée au ciel, déjà sauvée dans notre chef, mais à sauver dans ses membres. Que les membres se réjouissent en sûreté, parce que le Chef ne les a point abandonnés. Car il a dit à ses membres qui souffrent : « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles[2] ». C’est ce qui nous a portés à nous tourner vers Dieu. Nous n’avions d’espérance que pour cette vie ; de là notre esclavage, de là notre misère, et une double misère, puisque n’ayant d’espérance que dans cette vie, et n’ayant devant les yeux que le monde, nous tournons le dos à Dieu. Mais lorsque Dieu nous convertit, que nous commençons à jeter nos yeux sur lui, et à tourner le dos au monde, nous qui sommes encore ici-bas dans la voie, nous regardons néanmoins notre patrie, et quand il nous arrive quelque affliction, nous demeurons fermes dans la voie, nous attachant au bois qui nous porte. Le vent est violent sans doute, mais le vent est favorable ; il n’est pas sans fatigue, mais il nous pousse avec rapidité, et nous arriverons plus tôt. Nous gémissons de notre captivité, et ils gémissent aussi, ceux qui ont embrassé la foi ; mais parce que nous avons oublié de quelle manière nous sommes tombés dans l’esclavage, et que l’Écriture nous le rappelle, interrogeons l’Apôtre saint Paul lui-même : « Nous savons », dit-il, « que la loi est spirituelle, et moi je suis charnel et vendu au péché[3] ». Voilà notre captivité ; C’est l’assujettissement au péché. Qui nous a vendus ? Nous-mêmes, en nous laissant séduire. Nous avons bien pu nous vendre, mais nous ne saurions nous racheter. Nous sommes vendus en consentant au péché, et nous sommes rachetés en croyant à la justice. Le sang innocent a été versé pour nous, afin de nous racheter. Quel sang a répandu l’ennemi, quand il a versé le sang des justes qu’il persécutait ? Il est vrai que c’était le sang des justes, le sang des Prophètes, qui sont nos pères, le sang des justes encore dans les martyrs ; tous néanmoins venaient de la tige empoisonnée du péché. Mais il a aussi répandu le sang d’un seul, qui n’a pas été justifié, mais qui est né dans la justice, et ce sang répandu lui a fait perdre ceux qu’il tenait sous sa puissance. Ils ont été en effet délivrés, ceux pour qui ce sang a été versé, et délivrés de leur captivité, ils chantent le psaume que nous allons expliquer.

  1. Rom. 8,20-25
  2. Mt. 28,20
  3. Rom. 7,14