Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/589

Cette page n’a pas encore été corrigée

à l’égard de la croyance que nous nourrissons et que nous professons sur le futur jugement du Christ. Il est venu en ce monde, d’abord pour le sauver, ensuite pour le juger ; et son jugement consistera à condamner aux peines éternelles ceux qui n’auront pas voulu être sauvés, et à mettre en possession de la vie ceux qui n’auront point méprisé la grâce du salut. Le premier avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ a donc eu pour but de nous guérir, et non de nous juger ; car s’il était venu d’abord pour exercer le jugement, personne n’aurait été trouvé digne de recevoir la récompense de la justice. Dès lors donc que nous lui soyons tous apparu dans l’état du péché, et condamnés, sans exception, à la mort du péché, il lui a fallu exercer d’abord sa miséricorde, puis, ensuite, manifester sa justice ; le Psalmiste, parlant de lui, avait dit en effet : « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre justice [1] ». L’Ecrivain sacré ne dit pas : votre justice et votre miséricorde ; car si la justice devait s’exercer avant la miséricorde, celle-ci ne se manifesterait jamais : elle doit donc venir la première ; après elle seulement, la justice. Et comment test manifestée la miséricorde du Sauveur ? Créateur de l’homme, il a daigné se faire homme ; il est devenu sa propre créature afin de ne point laisser périr ce qu’il avait créé. Était-il possible d’ajouter à cette bonté infinie ? Oui, car il t’a poussée plus loin encore. C’était peu pour lui de s’être fait homme, il a voulu aussi être condamné par des hommes ; non content d’être condamné par eux, il a consenti encore à être par eux déshonoré et, non seulement à en être déshonoré, mais à se voir mis à mort, et non seulement à mourir, mais à mourir de la mort de la croix. En nous parlant de l’obéissance du Christ, obéissance poussée jusqu’à la mort, l’Apôtre ne s’est pas contenté de dire : « Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort » ; ce n’était pas une mort quelconque, car il a ajouté : « La mort de la croix [2] ». De tous les genres de mort, aucun n’a été plus affreux que celui-là. Aussi, lorsqu’un homme se tord dans les étreintes de douleurs atroces, on dit de lui qu’il souffre une sorte de crucifiement, par analogie avec le supplice de la croix. Et de fait, les malheureux attachés au bois de la croix mouraient d’une mort lente, effet tardif des blessures qu’on leur faisait aux pieds et aux mains pour les clouer à leur gibet. Crucifier un homme, ce n’était pas le tuer ; sur la croix il vivait longtemps, non pas qu’on voulût prolonger la durée de son existence, mais parce qu’on avait dessein de retarder sa mort pour lui faire atteindre moins vite le terme de ses douleurs. Le Sauveur a voulu mourir pour nous ; nous disons trop peu : il s’est fait obéissant jusqu’à la mort de la croix, et il a daigné se laisser crucifier. Il voulait détruire l’empire de la mort, et, pour cela, il a choisi le genre de mort le plus cruel, le dernier de tous ; et par cette mort, de toutes les morts la plus infâme, il les a toutes détruites. Aux yeux des Juifs, elle occupait le dernier rang parmi les autres, mais ils n’en comprenaient pas le mystère, car elle était du choix du Sauveur. Sa croix devait être pour lui un symbole ; il devait l’imprimer sur le front de ses disciples comme un signe du triomphe qu’il remportait sur le démon ; c’est pourquoi l’Apôtre a pu dire : « Mais, pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu’en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, et par qui je suis crucifié pour le monde [3] ». Pour son corps, l’homme ne pouvait subir alors de plus insupportable supplice que celui de la croix ; aujourd’hui, rien de plus glorieux que le signe de la croix imprimé sur son front. Quelle récompense réserve à ses serviteurs Celui qui a ainsi glorifié l’instrument de ses douleurs ? Maintenant, enfin, les Romains ne condamnent plus à la croix leurs criminels, depuis que celle du Sauveur est honorée de tous ; car l’éclat de sa gloire rejaillirait, ce semble, sur le coupable que l’on crucifierait. Dans son premier avènement, le Christ n’a donc jugé personne, et il a supporté les méchants. Il a souffert un injuste jugement, afin de rendre le sien avec justice ; mais précisément parce qu’il a été victime de l’injustice, il s’est montré miséricordieux. En s’abaissant jusqu’à la mort de la croix, il a différé d’exercer sa puissance, mais il a manifesté hautement sa bonté. Et comment a-t-il différé l’exercice de sa puissance ? En ce que, attaché à l’arbre de la croix, il n’a pas voulu en descendre, quoique ensuite il ait pu sortir vivant du tombeau. Comment a-t-il montré sa miséricorde ?

  1. Ps. 100, 1
  2. Phil. 2, 8
  3. Gal. 6, 14