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d’entendre ces paroles : « Je suis la lumière du monde », sortir de la bouche de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il en est, sans doute, plus d’un pour se dire à lui-même Le Seigneur Jésus serait-il ce soleil, dont le lever et le coucher forment la mesure de nos jours ? Plusieurs hérétiques l’ont pensé : en effet, les Manichéens voyaient la personnification du Christ dans cet astre dont les rayons frappent nos regards, et qui, placé au centre du monde, sert à tous, aux hommes et aux animaux, pour se conduire. Mais là vraie foi de l’Église catholique repousse une telle ineptie, elle y voit la doctrine du démon ; et elle ne se contente pas de croire la vérité ; elle cherche aussi, par des preuves péremptoires, à faire passer ses convictions dans les âmes près desquelles, elle trouve accès. C’est pourquoi nous condamnons nous-mêmes cette erreur que la sainte Église a, dès le commencement, anathématisée. N’allons donc point voir Jésus-Christ dans ce soleil qui se lève à nos yeux, en Orient, pour aller se coucher en Occident ; à l’éclat duquel succèdent les ombres de la nuit, dont les rayons sont interceptés par les nuages, et qui passe avec une admirable régularité de mouvements, d’un lieu dans un autre : non, le Sauveur Jésus n’est pas ce soleil ; non, il n’est pas cet astre sorti du néant : il en est le Créateur ; « car, par lui toutes choses ont été faites, et rien m’a été fait sans lui ».
3. Il est donc la lumière qui a créé les rayons du soleil puissions-nous l’aimer, désirer la comprendre et en éprouver comme une soif ardente ! Ainsi elle nous conduira un jour jusqu’à elle-même, et nous vivrons en elle de manière à ne jamais mourir complètement. C’est en parlant de cette lumière que le Prophète adit, longtemps auparavant, dans un psaume : « Seigneur Dieu, vous sauverez les hommes et les bêtes ; car votre miséricorde est sans bornes ». Telles sont les paroles du saint psalmiste : remarquez bien ce qu’ont dit d’avance de cette lumière divine les hommes de Dieu qui ont vécu dans les temps anciens et consacré leur vie à la sainteté : « Seigneur Dieu, vous sauverez les hommes et les bêtes ; car votre miséricorde est sans bornes ». Parce que vous êtes Dieu et que vous êtes rempli d’une immense miséricorde, vous en avez répandu l’intarissable abondance, non seulement sur les hommes, que vous avez créés à votre image, mais encore sur les animaux, que vous avez soumis à l’empire de l’homme. Le salut des bêtes vient de la même source que le salut de l’homme : il vient de Dieu. Ne rougis point de nourrir, à l’égard du Seigneur ton Dieu, de pareilles pensées ; au contraire, livre-toi, à cet égard, à la confiance et même à la présomption : prends garde d’avoir d’autres sentiments. Celui qui te sauve, sauve aussi ton cheval et ta brebis : ne craignons pas de parler des moindres animaux, il sauve encore ta poule ; car le salut vient de Dieu, et Dieu sauve tous ces êtres [1]. Cela te jette dans l’étonnement ; tu m’interroges : je suis surpris de te voir aussi défiant. Le Seigneur, qui a daigné tout créer, dédaignerait-il de tout sauver ? De lui vient le salut des anges, des hommes, des bêtes ; car le salut vient de lui. Comme personne n’est le principe de sa propre existence, ainsi aucun homme ne peut se sauver lui-même. Voilà pourquoi le Psalmiste dit avec tant de vérité et d’à-propos : « Seigneur Dieu, vous sauverez les hommes et les bêtes », pourquoi ? « parce que votre miséricorde est sans bornes ». Car vous êtes Dieu, vous avez tout créé : vous sauvez tout : vous avez donné l’être à toutes choses ; vous le conservez dans son intégrité.
4. Si, en raison de son infinie miséricorde, le Seigneur sauve les hommes et les animaux, les hommes ne jouissent-ils donc d’aucun bienfait d’en haut qui leur soit particulier, et qu’ils ne partagent point avec les êtres sans raison ? N’y a-t-il aucune différence entre l’animal créé à l’image de Dieu, et l’animal soumis à cette image ? Certes, il y en a une : outre le salut qui nous est commun avec les brutes, il en est un autre que le Seigneur nous accorde et qu’il leur refuse. Quel est ce salut ? Voici la suite du psaume : « Mais les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes ». Ils partagent aujourd’hui avec les animaux le même salut ; « mais les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes ». Maintenant ils jouissent de l’un, et ils espèrent l’autre. Le salut du temps présent est le même pour les hommes et pour les bêtes ; mais il en est un autre qui fait l’objet des espérances de l’homme : ceux qui espèrent, entrent en sa possession : il n’est

  1. Ps. 3, 9