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cœur [1] ». Le cœur qui éprouve la douceur du pain céleste, ressent un véritable plaisir. Or, s’il est vrai de dire avec le poète : « Chacun est conduit par l’attrait de ses propres penchants [2] » ; non par la nécessité, mais par l’attrait du plaisir ; non par le devoir, mais par la jouissance : à plus forte raison devons-nous dire que celui-là est attiré vers le Christ, qui trouve ses délices dans la vérité, la béatitude, la justice, l’éternelle vie ; car le Christ est tout cela. Quand les sens corporels ont leurs plaisirs, les facultés de l’âme en seraient-elles dépourvues ? Et si l’âme n’avait point de jouissances à elle, comment le Psalmiste aurait-il pu dire : « Les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes ; ils seront enivrés de l’abondance de votre maison ; vous les abreuverez au torrent de vos délices ; car, en vous est la source de la vie, et dans votre lumière nous verrons la lumière [3] ? » Donne-moi un homme qui aime lieu, et il éprouvera la vérité de ce que je dis : donne-moi un homme rempli du désir et de la faim de ce pain céleste, engagé dans le désert de cette vie et dévoré par la soif de Injustice, soupirant après la fontaine de l’éternelle patrie ; donne-moi un tel homme, et il me comprendra. Mais si je m’adresse à un homme glacé par le froid de l’indifférence, il ne saisira pas mes paroles. Tels étaient les murmurateurs dont parle notre Évangile. « Celui que mon Père attire vient à moi ».
5. Mais pourquoi dire : « Celui que mon Père attire », puisque le Christ attire aussi ? dans quelle intention le Sauveur a-t-il dit : « Celui que mon Père attire ? » Si nous devons être entraînés, soyons-le par celui à qui l’épouse animée par l’amour adressait ces paroles : « Nous courrons sur tes pas à l’odeur de tes parfums [4] ». Remarquons bien, mes frères, et, autant que possible, efforçons-nous de comprendre ce que le Sauveur veut nous faire entendre. Le Père attire à son Fils ceux qui croient au Fils, parce qu’ils reconnaissent Dieu pour son Père ; car Dieu le Père s’est engendré un Fils égal à lui ; l’homme qui reconnaît dans sa pensée que le Fils est égal au Père, et qui, sous l’empire de sa foi, sent vivement cette vérité, et la rappelle sans cesse à son esprit, le Père l’attire vers son Fils. Arius n’a vu en Jésus qu’une simple créature ; aussi le Père ne l’a-t-il pas attiré, car celui-là n’a le Père en aucune estime, qui ne reconnaît pas le Fils comme son égal. Que dis-tu, ô Arius ? O hérétique, quel langage tiens-tu ? Qu’est-ce que le Christ ? – Ce n’est pas le vrai Dieu : il n’en est que la créature. – Tu n’es pas attiré par le Père, puisque tu ne reconnais pas son Fils, loin de là ; puisque tu dis positivement qu’il n’a pas de Fils : aussi n’es-tu ni attiré par le Père, ni attiré vers le Fils ; car autre chose est le Fils, autre chose est ce que tu en dis. Au dire de Photin, le Christ n’est qu’un homme : il n’est pas Dieu. Les partisans de cet hérétique, le Père ne les attire pas. Le Père a attiré celui qui a dit : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ». Vous n’êtes ni un Prophète, ni saint Jean, ni un grand saint, mais « vous êtes le Christ Fils » unique « du Dieu vivant », et son égal. Oui, il a été attiré : il l’a été par le Père ; tu en trouves la preuve dans ces paroles du Sauveur : « Simon, fils de Jona, tu es heureux, car la chair et le sang ne t’ont pas révélé ceci, mais mon Père qui est dans les cieux [5] ». Cette révélation du Père n’est autre que son attraction. Tu montres à une brebis une branche de feuillage, et tu l’attires ; offre des noix aux regards d’un enfant, et tu l’attireras : et il est attiré à l’endroit où il court, par l’affection, sans dommage pour son corps, sous l’empire des sentiments de son cœur. S’il est vrai qu’un homme se laisse entraîner vers un objet dont les attraits et les délices sollicitent son affection, suivant cet incontestable adage : « Chacun est conduit par l’attrait de ses propres penchants » ; le Père, en faisant connaître le Christ, n’aurait aucun empire sur les cœurs ? Mais rien n’a plus de force que la vérité pour exciter dans une âme d’ardents désirs. Pour quelle occurrence avoir un meilleur appétit, pourquoi désirer un palais plus apte à juger des saveurs, sinon pour se nourrir et s’abreuver de la sagesse, de la justice, de la vérité, de l’éternité ?
6. Mais où serons-nous rassasiés ? Au ciel, nous le serons mieux, plus véritablement, plus parfaitement que partout ailleurs. Car ici, il nous est plus facile, si nous sommes animés d’une ferme espérance, d’avoir faim que d’être rassasiés ; car « bienheureux ceux « qui ont faim et soif de la justice » sur la

  1. Ps. 36, 4
  2. Virgile, Eglogue, 2
  3. Ps. 35, 8-10
  4. Cant. 1, 3
  5. Mt. 16, 16-17