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autant de villes de ce nom, qu’il y a ici d’âmes pour sen souvenir ? Il a suffi de la nommer, et déjà vous l’aviez vue tous en vous-mêmes. Quatre syllabes, bien connues de vous, sont sorties de ma bouche : elles sont allées frapper vos oreilles et, par l’intermédiaire de votre corps, elles ont éveillé l’attention de votre âme, et votre esprit, se détournant de pensées étrangères, s’est reporté vers les souvenirs qu’il tenait enfermés en lui, et il a vu Carthage. Cette ville s’y est-elle alors formée ? Non, car elle s’y trouvait déjà, mais elle y était cachée ; et pourquoi y était-elle cachée ? parce que ton esprit portait ailleurs son attention ; mais dès que ta pensée s’est retournée vers ce que tu avais précédemment confié à ta mémoire, Carthage est devenue présente à ton âme, et ton âme l’a en quelque sorte aperçue clairement. Un instant auparavant, cette vision n’existait pas en elle mais la mémoire s’y trouvait : en sorte que ses pensées s’étant reportées du côté de sa mémoire, elle a vu nettement Carthage. Ta mémoire a donc montré cette ville à ta pensée ; ce qu’elle tenait cachée en elle-même, avant que tu y fisses attention, elle te l’a fait voir au moment où tu as tourné vers elle ta pensée. Par ta mémoire, une manifestation a donc eu lieu à l’égard de ta pensée, et celle-ci s’en est aperçue : entre l’une et l’autre aucune parole n’a été échangée, aucun signe n’a été fait par n’importe quelle partie du corps : tu n’as donné nul assentiment, tu n’as rien écrit, tu n’as fait entendre aucun bruit, et, pourtant, ta pensée a vu ce que ta mémoire lui montrait. Et, néanmoins, c’était le même être qui montrait et voyait tout à la fois. Mais pour rappeler à ton esprit l’image, de Carthage, il t’a fallu d’abord la voir, et en graver le souvenir dans ta mémoire ; tu l’as, en effet, considérée préalablement, afin d’en conserver intacte l’idée. Pourquoi as-tu gardé la mémoire de cet arbre, de cette montagne, de ce fleuve, des traits de cet ami, de cet ennemi, de ton père, de ta mère, de ton frère, de ta sœur, de ton enfant, de ton voisin ? Parce que tu les as vus : ainsi en est-il des lettres écrites dans ce livre, de ce livre lui-même, de cette basilique ; tu as considéré tout cela, et, parce que tu l’as considéré, tu l’as confié à ta mémoire : tu as enfermé en elle ce que tu voudrais revoir, quand tu jugerais opportun d’y penser, même au moment où tu ne serais plus à même de le considérer avec les yeux du corps. En effet, tu as vu Carthage, lorsque tu étais dans cette ville : par l’intermédiaire de tes yeux, ton âme en a reçu l’image : cette image s’est gravée dans ta mémoire. Pendant que tu habitais corporellement Carthage, tu en as placé au dedans de toi le souvenir, afin de pouvoir, sans sortir de toi, la considérer encore, même quand tu n’y serais plus. Le principe de toutes les opérations de ton âme se trouve donc en dehors de toi ; mais ce que le Père montre au Fils, il ne le voit point en dehors de lui-même : tout se plaît au dedans de lui, parce qu’au-dehors aucune créature n’existerait si le Père ne l’avait faite par son Fils. Toute créature a été faite par Dieu ; avant de sortir de ses mains, elle n’existait pas. Le Père n’a donc pu la considérer comme faite, ni confier à sa mémoire le souvenir de son image, pour montrer cette image à son Fils de la même manière que notre mémoire représente à notre pensée certains objets. Le Père l’a montrée et le Fils l’a vue avant qu’elle fût faite, et le Père l’a créée en la montrant ; car, il l’a créée par son Fils qui la voyait. Il ne faut donc point s’étonner que l’Évangéliste ait dit : « qu’il ne l’ait vu faire au Père », au lieu de dire : qu’il ne l’ait vu montrer au Père ; car, en s’exprimant ainsi, il a voulu nous faire entendre que faire et montrer sont une même chose pour le Père, et, par là, que le Père fait toutes choses par le Fils, qui le voit. Cette démonstration de la part du Père et cette intuition de la part du Fils n’ont pas une durée qui puisse se mesurer comme le temps ; la raison en est facile à saisir : c’est par le Fils que se font tous les temps : il ne peut donc y avoir un seul instant où, avant leur création, ils puissent lui être montrés par le Père. Mais, quant à la démonstration du Père, elle engendre l’intuition du Fils de la même manière que le Père engendre le Fils : c’est, en effet, la démonstration qui engendre l’intuition, et ce n’est pas l’intuition qui engendre la démonstration. S’il nous était possible de saisir plus nettement et plus parfaitement la vérité, nous verrions qu’entre le Père et sa démonstration, il n’y a aucune différence, comme il n’en existe aucune catie le Fils et sa vision. Nous avons éprouvé une si grande difficulté à comprendre et à expliquer la manière dont notre mémoire représente