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parlé au Fils de cette manière ? Y a-t-il eu échange de paroles entre Dieu et le Verbe ? Comment l’enseignement a-t-il été donné à l’un par l’autre ? Le Père voulant instruire son Fils, qui est son propre Verbe, et se servir pour cela du Verbe, a-t-il employé le Verbe pour s’entretenir avec le Verbe ? Ou bien le Fils de Dieu étant la grande Parole, le Père et le Fils se sont-ils entretenus au moyen de paroles moindres ? Un son quelconque, une sorte de créature volante et de peu de durée est-elle sortie de la bouche du Père pour aller toucher l’oreille du Fils ? Dieu a-t-il un corps, et par conséquent des lèvres qui laissent échapper de pareils sons ? Le Verbe a-t-il des oreilles où ils puissent aboutir ? Écarte de ton esprit toute idée matérielle ; vois les choses dans leur simple réalité, si toutefois tu es simple toi-même. Mais comment seras-tu simple ? En ne t’engageant point dans les idées et les affections du monde, en te dégageant des choses de la terre ; par là tu acquerras la simplicité. Considère donc, si tu le peux, les vérités dont je parle, et si tu n’en es pas capable, crois, du moins, ce que tu ne peux comprendre. Tu t’adresses à ton fils, et pour cela tu emploies la parole ; mais, ni toi ni ton fils, vous n’êtes cette parole qui se fait entendre.
9. J’ai, dis-tu, un autre moyen d’expliquer cette divine opération, j’instruis mon fils de telle manière que je lui communique ma pensée sans prononcer une seule parole d’un signe je lui apprends ce qu’il doit faire. Si tu emploies un signe pour manifester ce que tu veux, il est sûr que ton esprit prétend faire connaître ses pensées cachées. D’où vient ce signe ? De ton corps, c’est-à-dire de tes lèvres, de ton visage, de tes paupières, de tes yeux, de tes mains. Tout cela est parfaitement étranger à ton esprit ; ce sont des intermédiaires par lesquels on fait comprendre quelque chose ; mais les signes dont ils sont le principe, ne sont un ni avec ton esprit ni avec celui de ton fils ; car ils sont l’un et l’autre bien supérieurs à tous ces mouvements de ton corps : d’ailleurs, ton fils serait incapable de pénétrer tes intentions, si tu ne lui donnais d’abord aucun de ces signes extérieurs. Pourquoi donc essayer de ce genre d’explication ? Il n’en est pas encore ainsi dans le cas présent les choses s’y passent simplement. Le Père montre au Fils ce qu’il fait, et par cette démonstration même, il l’engendre. Je sais ce que je dis ; mais parce que je sais aussi à qui je m’adresse, je souhaite que vous parveniez à me comprendre toujours. Toutefois, si vous ne pouvez avoir l’idée de ce qu’est Dieu, puissiez-vous du moins savoir ce qu’il n’est pas ; vous serez déjà beaucoup avancés, si vous ne vous le représentez pas différent de ce qu’il est en réalité. Tu es incapable de t’imaginer ce qu’il est ; cherche à bien comprendre ce qu’il n’est pas : Dieu n’est pas un corps, il n’est ni la terre, ni le ciel, ni la lune, ni le soleil, ni les étoiles, ni rien de matériel, Et puisqu’il est différent des astres du firmament, il l’est, à bien plus forte raison, des choses de la terre. Fais donc ici abstraction de tout être corporel ; puis écoute encore cette autre remarque : Dieu n’est pas non plus un esprit sujet au changement. Sans doute, je l’avoue, et il faut l’avouer : l’Évangile dit que « Dieu est un esprit ». Mais élève-toi au-dessus de tout esprit variable ; élève-toi au-dessus de tout esprit qui sait aujourd’hui, qui ignorera demain ; qui se souvient maintenant, et qui tout à l’heure oubliera ; qui veut ce qu’il ne voulait pas précédemment, et qui ne veut plus ce qu’il voulait ; il ne s’agit point ici d’esprits aussi inconstants ou sujets à le devenir ; éloignes-en ta pensée. En Dieu, rien qui puisse se modifier, rien qui soit maintenant différent de ce qu’il était tout i l’heure ; car, où tu vois tantôt une manière d’être, et tantôt une autre, il y a une sorte de mort, puisque mourir, c’est cesser d’être ce qu’on était. On dit que l’âme est immortelle : oui, sans doute, puisqu’elle vit toujours, puisqu’elle est douée d’une vie qui ne finit pas ; mais sa vie est sujette au changement ; en raison des innombrables modifications qu’elle subit dans le cours de son existence, on peut dire qu’elle est mortelle : en effet, qu’elle vive selon les règles de la sagesse, bientôt elle déchoit et meurt en devenant moins bonne ; si, au contraire, elle s’inspire d’abord de principes mauvais, et qu’elle en adopte ensuite de plus conformes au bien, elle meurt encore, puisqu’elle devient meilleure. Qu’il y ait une mort du côté du mal, et une mort du côté du bien, l’Écriture nous l’atteste. Évidemment, il en est qui meurent parce qu’ils deviennent mauvais ; car c’est d’eux qu’il est écrit : « Laissez les morts ensevelir leurs morts [1] » ; et encore : « Lève-toi, toi qui

  1. Mt. 8, 22