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d’atteindre jusqu’à Dieu, à moins de t’élever au-dessus de ton âme : à plus forte raison, n’y parviendras-tu pas, si tu t’arrêtes à ce corps grossier. Qu’ils sont loin de priser ce qui est Dieu, ceux qui ont du goût seulement pour leur corps ! Jamais même ils n’arriveraient à posséder Dieu,’s’ils se bornaient à avoir du goût pour leur âme. L’homme s’éloigne énormément de la divinité, quand il n’a que des pensées charnelles : entre son corps et son âme se trouve une incalculable distance ; il en est encore, néanmoins une plus grande entre l’âme et Dieu. Si lu occupes ta pensée de ton esprit, tu tiens le milieu : si, de là, tu abaisses tes regards, tu aperçois le corps ; si tu les élèves, tu vois Dieu. Porte-les donc plus haut que ton corps, porte-les plus haut que toi-même. Écoute ce que dit le Psalmiste : il t’apprendra comment tu dois priser Dieu. « Jour et nuit, mes larmes sont ma nourriture, parce qu’on me dit sans cesse : Où est ton Dieu ? » test comme si les païens nous disaient : Voici nos dieux : où est le vôtre ? De telles gens montrent alors des divinités visibles : pour nous, nous adorons un Dieu qu’on ne voit pas. À qui pourrions-nous le montrer ? À des hommes qui manquent de tous moyens pour le voir ? S’ils ont les yeux du corps pour contempler leurs dieux, nous avons, nous, des yeux tout autres pour apercevoir notre Dieu : encore faut-il qu’il les purifie ; sans cela il nous serait impossible de le voir ; car, « bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu [1] ». Le Psalmiste nous dit donc qu’il se troublait, parce qu’on lui disait sans cesse : « Où est ton Dieu ? Je ne puis oublier qu’on me dit sans cesse : Où est ton Dieu ? » Aussi semblait-il vouloir saisir Dieu, et s’écriait-il : « Je repassais ces paroles en mon cœur, et je répandais mon âme en moi-même [2] ». Pour arriver jusqu’à taon Dieu, jusqu’à Celui dont on me disait : « Où est ton Dieu ? » je n’ai point répandu mon âme sur mon corps, mais sur moi-même ; je me suis élevé au-dessus de moi-même, afin de parvenir jusqu’à lui. Celui qui n’a créé est au-dessus de moi : on ne va à lui qu’à la condition de devenir supérieur à soi-même.
12. Qu’est-ce que ton corps ? Ne l’oublie pas : il est sujet à la mort, terrestre, fragile, corruptible : arrière donc. Mais notre chair est du temps. Reporte tes pensées sur les autres corps, sur les corps célestes ; ils sont plus grands, ils sont meilleurs, ils brillent d’un vif éclat ; regarde-les : ils roulent de l’Orient à l’Occident, et ne s’arrêtent pas ; les hommes, les animaux eux-mêmes les contemplent. Élève-toi plus haut. – Comment, me diras-tu, comment m’élèverai-je au-dessus des corps célestes, moi qui rampe en quelque sorte sur la terre ? – Corporellement, tu ne le peux pas : élève-toi donc sur les ailes de ton âme. Arrière donc aussi les corps célestes : ils ont beau briller, ce ne sont que des corps ; quoiqu’ils nous inondent des flots de leur lumière, ce sont des corps. En les considérant tous, tu ne sais peut-être où tu pourrais aller : viens avec moi. – En quel lieu, au-delà des astres, pourrais-je monter ? Au-dessus de quel monde m’élèverai-je sur les ailes de mon âme ? – As-tu considéré tous ces mondes ? — Oui. – En quel endroit t’étais-tu placé pour les contempler ? Voyons qui est-ce qui les considère. Ce qui les examine, les discerne, les distingue les uns des autres, et les pèse en quelque sorte dans sa balance, c’est l’intelligence. L’intelligence qui, en toi, a pensé à tous ces mondes, est évidemment préférable à eux tous ; elle est un esprit et non un corps. Pour voir où il faut que tu arrives, compare d’abord cette intelligence à ton corps. Ah ! de grâce, ne t’abaisse pas à une pareille comparaison. Compare-la à l’éclat du soleil, de la lune, des étoiles : son éclat le surpasse de beaucoup. Vois d’abord combien elle est prompte : ses pensées ne ressemblent-elles pas à des éclairs qui l’emportent en vivacité sur les plus vifs rayons du soleil ? Si tu réfléchis à la marche du soleil levant, qu’elle doit te sembler lente en comparaison de la marche de ton esprit ? Tu imagines, en un instant, ce que fera l’astre du jour ; il ira d’Orient en Occident, et à peine se lève-t-il, que déjà tu songes à son coucher : par la pensée, tu as fait ce qu’il doit faire, tu as parcouru sa route, et lui la parcourt encore, tant il est lent à la fournir. Que l’esprit humain est une grande chose ! Mais pourquoi dire : Il est ? Elève-toi même au-dessus de lui, car il a beau être préférable à tout ce qui est matière, il est sujet au changement. Aujourd’hui il sait, demain il ne sait plus : un jour il oublie, un autre jour il se

  1. Mt. 5, 8
  2. Ps. 41, 4, 5