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ne l’ait vu faire au Père ». Nais une manière de comprendre toute charnelle pouvait séduire les âmes et les détourner de la vérité : l’homme pouvait se faire l’idée de deux artisans dont l’un aurait été le maître ; l’autre, en qualité d’apprenti, aurait semblé suivre des yeux les mouvements de son patron, pour lui voir faire par exemple un coffre, et en faire, à son tour, un autre sur le modèle du coffre du maître, et par les moyens qu’il lui aurait vu employer. Le Christ voulut donc empêcher dans l’esprit humain l’existence de cette grossière supposition, de deux agents dans la Divinité, qui est toute simple. Aussi continua-t-il en disant : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi pareillement ». Le Père ne fait pas une chose, et le Fils une autre semblable : ils font, tous les deux, les mêmes choses. Car le Sauveur ne dit pas : Le Père fait certaines choses, et le Fils en fait d’autres pareilles ; mais voici comment il s’exprime : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi pareillement ». Ce que fait l’un, l’autre le fait : le Père a créé le monde ; avec lui et comme lui, le Fils et le Saint-Esprit ont créé ce même monde. S’il y avait trois dieux, il y aurait trois mondes ; mais comme il n’y a qu’un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, il n’y a, non plus, qu’un seul monde, que le Père a créé par le Fils dans le Saint-Esprit. Le Fils fait donc ce que fait le Père, et il ne le fait pas d’une manière différente : il fait ce que fait le Père, et il le fait comme lui.
10. Il avait déjà dit : « Il le fait » ; pourquoi a-t-il ajouté : « il le fait pareillement ? » C’était afin d’écarter de l’esprit de ses auditeurs toute interprétation maligne ou erronée. Tu vois l’ouvrage d’un homme. L’homme se compose d’un esprit et d’un corps ; l’esprit commande au corps, mais, entre l’un et l’autre, se trouve une immense différence. Le corps est visible, l’esprit ne l’est pas : et il n’y a aucune comparaison à établir entre la puissance et l’énergie de l’esprit, et l’énergie et la puissance de n’importe quel corps, fût-il même céleste. L’esprit intime au corps ses volontés, et celui-ci les accomplit, et ce qu’on voit faire à l’esprit, le corps le fait aussi. Le corps fait donc évidemment ce que fait l’esprit, mais il ne le fait point pareillement. Comment fait-il la même chose, sans la faire de la même manière ? L’esprit parle en lui-même, il donne ses ordres à la langue, et elle profère les paroles qu’il a lui-même intérieurement prononcées : l’esprit a parlé, la langue aussi : le maître du corps et son serviteur ont agi l’un et l’autre ; mais, avant d’agir, le serviteur a appris de son maître ce qu’il devait faire, et, sur son ordre, il l’a fait. Tous les deux ont donc fait la même chose ; mais l’ont-ils faite pareillement ? Cependant, dit quelqu’un, comment ne l’ont-ils pas faite d’une manière semblable ? Le voici : La parole que prononce mon esprit reste au dedans de moi : celle que ma langue profère va frapper l’air : elle passe, elle n’est déjà plus. Lorsque tu as dit un mot dans ton esprit, et que ta langue l’a répété, rentre en toi-même, et tu l’y retrouveras. Est-il resté sur ta langue, comme il est resté dans ton esprit ? Ce mot, sorti avec sonorité de ta bouche, ta langue l’a créé en le prononçant, et ton esprit, en y pensant ; mais les sons émis par ta langue se sont évanouis, et ce qu’a pensé ton esprit continue à exister. L’esprit et le corps ont donc fait la même chose, sans la faire de la même manière. Ce qu’a fait l’esprit, il le conserve en lui-même ; ce qu’a fait la langue résonne et va, par les vibrations de l’air, frapper l’oreille. Poursuis-tu les syllabes pour leur donner la durée ? Ainsi n’agissent point le Père et le Fils, car ils font la même chose, et ils la font l’un comme l’autre. Si Dieu le Père a créé le ciel qui dure toujours, Dieu le Fils a créé ce même ciel, qui dure toujours. Si le Père à créé l’homme qui meurt, le Fils a fait aussi sortir du néant cet homme, qui est sujet à la mort. Toutes les choses que Dieu a faites pour toujours, le Fils les a faites aussi pour toujours, et celles que le Père n’a faites que pour un temps, le Fils ne les a non plus faites que pour un temps ; car non seulement il les a faites, mais il les a faites pareillement : en effet, le Père les a faites par son Fils, parce que, par le Verbe, il a fait toutes choses.
11. Cherche, dans le Père et le Fils, le manque d’ensemble, tu ne le trouveras pas, lors même que tu t’élèverais et que tu atteindrais à des régions supérieures à celles de ton âme. Si tu te nourris des idées creuses d’un esprit vagabond, tu t’entretiens avec ton imagination, et non avec le Verbe de Dieu : elle te jette dans l’illusion. Élève-toi au-dessus de ton corps, et prise ton esprit : élève-toi même au-dessus de ton esprit, et saisis Dieu. Impossible