Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/467

Cette page n’a pas encore été corrigée

Fils, ou le Fils sans le Père ; en effet : « Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Ceci étant solidement établi sur le fondement de la foi, en quel sens devons-nous entendre ce passage : Le Fils ne « peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire au Père ? » Tu voudrais, j’imagine, savoir comment le Fils opère : cherche d’abord à savoir comment il voit le Père. Que dit-il ? Le voici : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père ». Remarque bien ces paroles : « Que ce qu’il voit faire à son Père ». D’abord il voit ; puis, il agit : il regarde pour agir. Comment voudrais-tu savoir la manière dont il opère, quand tu ne sais pas encore de quelle façon il regarde son Père ? Pourquoi courir après le conséquent, et laisser de côté l’antécédent ? À l’entendre, il regarde et il fait ; mais il ne dit pas : Je fais, et puis, je regardai ; car « il ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père ». Veux-tu que je t’explique comment il agit ? Explique-moi d’abord comment il voit. Si tu es incapable de m’expliquer l’un, serai-je à même de t’expliquer l’autre ? Si tu ne peux te faire une idée de l’un, je ne puis davantage me faire une idée de l’autre. Cherchons donc tous deux ; frappons : par là, nous nous rendrons dignes de recevoir ce que nous désirons. Tu ne sais rien, et comme si tu avais le droit de me croire plus ignorant que toi, tu m’attaques ? Nous sommes aussi incapables l’un que l’autre de comprendre, moi, la manière dont le Fils agit, et toi, la manière dont il voit agir son Père ; interrogeons donc notre mutuel maître, et ne nous disputons pas comme les enfants des écoles. Nous avons déjà appris ensemble que « par lui toutes choses ont été faites »c’est donc déjà chose certaine pour nous : le Père ne fait pas des œuvres à lui personnelles, que le Fils regarde faire pour en accomplir à son tour de semblables : il fait exactement les mêmes que son Fils, et par son intermédiaire ; car toutes choses ont été faites par le Verbe. Maintenant, comment Dieu agit-il ? Qu’est-ce qui le sait ? Comment a-t-il créé, je ne dis pas, le monde, mais ton œil, cet œil charnel qui te dirige, et avec lequel tu compares les choses visibles aux choses invisibles ; car les idées que tu conçois de Dieu sont de la nature de celles que t’inspirent les yeux de ton corps : néanmoins, si nous pouvions voir Dieu de nos yeux corporels, le Christ n’aurait pas dit : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu[1] ». Tu as donc dans ton corps des yeux pour apercevoir un artisan, mais tu n’as pas encore les yeux du cœur pour contempler Dieu : voilà pourquoi tu voudrais attribuer à Dieu lui-même les opérations que tu attribues d’ordinaire à un simple ouvrier. Laisse à terre les choses terrestres, et élève ton cœur jusqu’au ciel.
7. Eh quoi, mes très chers ? nous vous avons demandé comment le Verbe voit le Père, comment le Père est vu par le Verbe, et, pour le Verbe, qu’est-ce que voir, et nous essaierions de vous l’expliquer ? Je ne suis ni assez audacieux, ni assez téméraire pour promettre une telle explication de votre part ou de la mienne. Sans doute je ne puis que supposer votre impuissance, mais je suis sûr de la mienne. Si vous le trouvez bon, au lieu de nous arrêter plus longtemps sur ce passage, nous parcourrons toutes les parties de notre leçon, et nous verrons les paroles du Sauveur troubler les cœurs charnels, mais les troubler de manière à leur faire abandonner les fausses idées qu’ils nourrissent. Agissons comme si nous ôtions à des enfants je ne sais quel amusement dangereux qui les expose à se faire du mal, afin de pouvoir leur mettre plus tard entre les mains des objets Plus utiles, et inspirer par là des goûts plus sérieux à des êtres jusqu’alors tout terrestres. Lève-toi donc, cherche, désire, soupire ardemment, frappe à cette porte encore fermée. Si nous ne désirons pas encore, si nous ne souhaitons pas, si nous en sommes encore à commencer de soupirer, il est sûr que nous jetterons des pierres précieuses sous les pieds des premiers venus, et si nous en trouvons nous-mêmes, dans quelles dispositions serions-nous pour en tirer profit ? Puissé-je, mes très chers, exciter les désirs de votre âme. Telles mœurs, telle intelligence des choses ; chaque nature différente même a un genre de vie différent. Autre est la vie terrestre, autre la vie céleste : les animaux, les hommes, les anges ne vivent point de même façon. L’existence des bêtes se consume dans le désir et la jouissance des plaisirs matériels : elles ne recherchent que cela ; elles s’y portent d’instinct, et s’y précipitent naturellement. Vivre, c’est,

  1. Mt. 5, 8