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été baptisé par un saint. Celui qui a été baptisé par un saint doit craindre d’être, non pas un Jacob, mais un Esaü. Aussi, mes frères, je vous le dis : il vaut mieux recevoir le baptême de la part d’hommes esclaves de leurs intérêts et amateurs du monde (ce que signifie le nom de servante), et rechercher en esprit l’héritage de Jésus-Christ, afin de ressembler aux enfants que Jacob a eus de ses servantes, que d’être baptisé par des saints et mériter par son orgueil d’être rejeté comme le fut Esaü, bien qu’il fût né d’une femme libre. Mes frères, retenez-le bien, nous ne vous caressons pas. Ne mettez pas en nous votre espérance, nous ne flattons ni vous ni nous ; car chacun de nous porte sa besace. Notre devoir est de vous dire la vérité, pour ne point subir un jugement sévère ; le vôtre est de nous écouter, et de nous prêter l’oreille de votre cœur, pour ne pas avoir à rendre compte de ce que nous vous communiquons ; ou plutôt, que ce compte, quand on vous le demandera, se trouve être à votre avantage, au lieu de se trouver à votre détriment.

5. Le Seigneur réplique à Nicodème par une exposition plus développée du mystère : « En vérité, en vérité, je te le dis : si quelqu’un ne renaît de l’eau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu ». C’est la naissance charnelle que tu as en vue, quand tu dis : « Un homme peut-il rentrer dans le sein de sa mère et en sortir à nouveau ? » Pour entrer dans le royaume de Dieu, il faut naître par l’eau et le Saint-Esprit. Pour qu’un homme succède à un autre homme, à son père, dans la possession de ses biens temporels, il doit nécessairement naître d’une mère charnelle mais celui qui veut posséder l’héritage éternel de Dieu, de son Père céleste, il lui faut puiser la vie dans le sein de l’Église. C’est par l’intermédiaire de son épouse qu’un père sujet à la mort engendre le fils destiné à lui succéder un jour. Dieu engendre par l’Église des enfants destinés, non pas à lui succéder, mais à demeurer éternellement avec lui. Le Christ ajoute : « Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit ». Nous naissons donc selon l’Esprit, et cette naissance spirituelle provient de sa parole et du sacrement. Le Saint-Esprit intervient pour nous faire naître, et si le Saint-Esprit intervient d’une manière invisible pour te faire naître, la raison en est que ta naissance même est invisible. C’est pourquoi Jésus-Christ continue et dit : « Ne sois pas étonné de ce que j’ai dit : Il faut que vous naissiez de nouveau ; l’Esprit souffle où il veut, et tu entends sa voix ; mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va ». Personne ne voit l’Esprit, mais comment entendons-nous sa voix ? Le Psalmiste nous parle, c’est l’Esprit qui nous parle ; nous entendons l’Évangile, c’est la voix de l’Esprit qui retentit à nos oreilles. « Tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va ». Si tu nais de l’Esprit, il en arrivera de même de toi ; et celui qui ne sera pas encore né de l’Esprit ne saura ni d’où tu viens, ni où tu vas. Voilà bien ce que dit ensuite Notre-Seigneur : « Ainsi en est-il de tout homme qui est né de l’Esprit ».

6. « Nicodème lui répondit : Comment cela peut-il se faire ? » Toujours des idées charnelles ; il ne comprenait pas. En lui se vérifiait ce qu’avait dit le Seigneur ; il entendait la voix de l’Esprit, sans savoir ni d’où il venait, ni où il allait. « Jésus lui dit : Tu es maître en Israël, et tu ignores ces choses ! » Hé quoi ! mes frères, penserons-nous que le Seigneur ait voulu insulter ce docteur des Juifs ? Le Seigneur savait ce qu’il faisait ; il voulait le faire naître de l’Esprit. Nul, à moins d’être humble, ne naît de l’Esprit. C’est, en effet, l’humilité qui nous fait naître de l’Esprit, et le Seigneur est près de ceux qui ont le cœur brisé[1]. Nicodème était fier de sa qualité de maître en Israël ; il se croyait un personnage d’importance parce qu’il était docteur en Israël ; Jésus-Christ abaisse son orgueil afin de le faire naître selon l’Esprit ; il se moque de lui comme s’il n’était qu’un ignorant, sans vouloir néanmoins paraître supérieur à lui. Qu’y aurait-il de si étonnant en cela ? D’un côté, un Dieu ; de l’autre, un homme ; d’un côté, la vérité ; de l’autre, le mensonge. Doit-on penser, croire et dire que le Christ fut plus que Nicodème ? Dire que le Christ soit supérieur aux anges, ne serait-ce pas ridicule ? Il est incomparablement au-dessus de toute créature, Celui qui a fait toutes les créatures. Mais Jésus-Christ veut mettre à bout l’orgueil de l’homme : « Tu es maître en Israël, et tu ignores ces choses ? » C’était lui dire : Tu vois bien que tu ne sais rien, docteur orgueilleux ; mais donc

  1. Ps. 33, 19