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l’oiseau au quadrupède ; de là au bœuf, de là à l’éléphant, finalement à l’homme. Ainsi ce malheureux, pour n’avoir pas su endurer l’importunité des mouches, est devenu mouche, pour tomber ensuite au pouvoir du diable. Béelzébub signifie, en effet, dit-on, Prince des mouches ; c’est d’elles qu’il est écrit : « Les mouches mourantes détruisent la suavité du parfum[1] ».
15. Qu’est-ce donc, mes Frères, et pourquoi ai-je dit ces choses ? Fermez les oreilles de votre cœur aux suggestions malignes de l’ennemi ; comprenez que Dieu a fait toutes les créatures et qu’il a rangé chacune d’elles à sa place. Mais pourquoi avons-nous tant à souffrir de la part de ces créatures que Dieu a faites ? Est-ce parce que nous avons offensé Dieu ? Ces maux, est-ce que les anges les endurent ? Nous aussi peut-être devrions-nous ne les avoir point à craindre dans cette vie. Ta peine, tu dois l’attribuer à ton péché, et non à ton juge. Car c’est à cause de notre orgueil que Dieu a tiré du néant cette créature si petite et si abjecte, pour en faire. l’instrument de notre supplice. Ainsi au moment même où l’homme se laisse emporter à la superbe et se révolte contre Dieu, au moment où, mortel, il veut faire trembler d’autres mortels et méprise son semblable, au moment où il s’exalte il se voit assujetti à une puce. Pourquoi donc te laisser enfler par l’orgueil humain ? Un homme t’a dit une parole d’outrage, et tu te gonfles de colère ; résiste donc aux puces, essaie de dormir en dépit de leurs morsures et sache qui tu es. Apprenez, mes Frères, que ces insectes qui nous importunent, ont été créés pour humilier notre orgueil ; car Dieu aurait pu dompter le peuple superbe de Pharaon avec des ours, des lions et des serpents, et il s’est borné à leur envoyer des mouches et des grenouilles[2] afin que la superbe fût domptée par ce qu’il y a de plus vil.
16. « Toutes choses » donc, mes Frères, « toutes choses sans exception ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait ». Mais comment toutes choses ont-elles été faites par lui ? « Ce qui a été fait, en lui est vie ». Ce qui peut se dire encore en cette façon : « Ce qui a été fait en lui, est vie ». Donc si nous construisons ainsi cette phrase, tout est vie. Qu’y a-t-il en effet qui n’ait pas été fait en lui ? Il est la sagesse de Dieu, et il est dit en un psaume : « Vous avez fait toutes choses dans votre sagesse ». De même donc que toutes choses ont été faites par lui, de même « elles « ont été faites en lui n. Que si toutes choses ont été faites en lui, mes très-chers Frères, et si ce qui a été fait en lui est vie, donc la terre est vie, donc le bois aussi est vie. À la vérité, il est un bois que nous appelons vie, mais nous entendons le bois de la Croix, d’où nous avons reçu la vie. Donc la pierre aussi est vie. Inconvenante manière de comprendre les choses, qui nous ferait retomber dans les abominables erreurs des Manichéens, et nous ferait dire qu’une pierre a la vie, qu’un mur aussi a une âme, comme aussi un petit filet, la laine, un vêtement. Voilà ce que débitent d’ordinaire ces hérétiques en délire ; et quand ils se voient réprimés et confondus, ils tirent en quelque sorte de l’Écriture leur justification, et ils disent : Pourquoi donc a-t-il été écrit : « Ce qui a été fait en lui, est vie ? » Car si tout a été fait en lui, tout est vie. Garde-toi de te laisser entraîner à leur suite. Lis de cette manière : « Ce qui a été fait » ; arrête-toi là, puis continue et ajoute : « est vie en lui ». Qu’est-ce à dire ? La terre a été créée, mais cette terre, qui a été créée, n’est pas vie : au sein de la Sagesse se trouve l’archétype immatériel d’après lequel la terre a été faite, et cet archétype est vie.
17. Je vais expliquer ceci à votre charité, comme je le pourrai. Un menuisier fait un coffre. D’abord, il conçoit l’idée de ce coffre, car s’il n’en avait pas le plan dans la tête, qu’est-ce qui le guiderait dans l’exécution de son ouvrage ? Mais ce coffre n’est pas, dans la pensée de l’ouvrier, ce qu’il est quand il apparaît aux regards des spectateurs ; invisible dans le plan, il sera visible quand il sera fait. Le voilà, il a passé en œuvre ; a-t-il cessé pour cela d’exister en idée ? Un coffre a été fait, mais celui qui était dans la pensée reste le même. En effet, le premier peut tomber en poussière, et de nouveau on en peut faire un autre d’après celui qui est en l’idée. Considérez donc qu’il y a deux coffres, l’un en idée, l’autre en œuvre. Le coffre en œuvre n’est pas vie, le coffre en idée est vie, parce qu’il vit dans la pensée de l’ouvrier, où tout ce qu’il fait existe avant d’être produit au-dehors. Pareillement, mes frères, la sagesse de Dieu, par laquelle toutes

  1. Eccl. 10, 1
  2. Ex. 8, 6, 24