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du sculpteur. Alors seulement les hommes portent les regards sur l’œuvre de tes mains ; ils admirent la pensée qui a présidé à cette construction ; ils s’étonnent de ce qu’ils voient, et vont jusqu’à aimer ce qu’ils ne voient pas ; mais y a-t-il un homme capable de considérer ta pensée ? Si donc un grand édifice élevé par l’homme mérite des louanges, veux-tu voir quelle est la pensée de Dieu Notre-Seigneur Jésus-Christ, c’est-à-dire le Verbe de Dieu ? Regarde l’édifice de ce monde. Vois ce qui a été fait par le Verbe, et alors tu sauras ce qu’est le Verbe. Regarde les deux parties de l’univers, le ciel et la terre. Par quelles paroles expliquer les beautés du ciel ? Par quelles paroles, la semence de la terre ? Par quelles louanges célébrer dignement la succession des saisons, la vertu des semences ? Vous voyez ce que je passe sous silence ; je crains, par une énumération plus longue, de laisser mon discours trop au-dessous de vos pensées. Que le grand ouvrage du monde vous fasse comprendre quel est le Verbe qui l’a fait, et ce n’est pas la seule chose qu’il ait faite. Car tout cela se voit et tombe sous les sens du corps. Le Verbe a aussi créé les anges. Par ce Verbe ont été faits les Archanges, les Puissances, les Trônes, les Dominations, les Principautés ; par ce Verbe ont été faites toutes choses. De là faites-vous une idée de ce qu’est le Verbe.

10. Je ne sais qui me répondra peut-être : Mais ce Verbe, qui est-ce qui le pense ? Quand on dit, le Verbe, ne va pas te former une grossière représentation et croire entendre les paroles que tu entends chaque jour : Un homme a dit telles paroles, voici les paroles qu’il a prononcées, tu me les rapportes. Car à répéter continuellement ce mot parole, il semble que la parole en soit avilie. Aussi, quand tu entends : « Au commencement était le Verbe », ne t’imagine pas quelque chose l’ordinaire, semblable à ce qua coutume de lu rapporter la parole humaine ; car écoute ce que tu dois penser : « Le Verbe était Dieu ».

11. Que je ne sais quel Arien infidèle, se présente maintenant et dise : Le Verbe de Dieu a été fait. Comment se peut-il que le Verbe de Dieu ait été fait, quand c’est par le Verbe que Dieu a fait toutes choses ? Si le Verbe de Dieu lui-même a été fait, par quel autre Verbe a-t-il été fait ? Si tu dis qu’il est le Verbe d’un Verbe qui l’aurait fait, je le déclare, celui-ci est le Fils unique de Dieu. Si tu ne dis pas qu’il est le Verbe du Verbe, accorde donc que celui qui a fait toutes choses n’a pas lui-même été fait. Car il n’a pu être fait par lui-même celui par qui toutes choses ont été faites. Crois à l’Évangéliste. Il pouvait dire : Au commencement, Dieu a fait le Verbe, comme Moïse a dit : « Au commencement Dieu a fait le ciel et la terre », pour continuer son énumération en ces termes : Dieu a dit : Que cela soit fait, et cela a été fait[1]. Si quelqu’un a parlé, qui a parlé ? Assurément Dieu. Et qu’est-ce qui a été fait ? Une créature. Entre Dieu qui a parlé et la créature qui a été faite, qu’est-ce qui se trouvait pour faire ce qui a été fait ? N’est-ce pas le Verbe, puisque Dieu a dit : Que cela soit fait, et que cela a été fait ? Tel est le Verbe immuable : quoique les choses muables aient été faites par le Verbe, lui il demeure immuable.

12. Ne va donc pas croire que celui par qui toutes choses ont été faites, ait été fait lui-même ; de peur de n’être pas refait par ce Verbe, par qui toutes choses sont refaites. En effet, tu as déjà été fait par le Verbe, mais il faut qu’il te crée de nouveau ; or, si la foi relativement au Verbe n’est pas pure, tu ne pourras être refait par lai. Si tu as pu être fait par le Verbe, tu es pour toi-même une cause de déchéance, et si par toi-même Lu ne peux que déchoir, daigne celui qui t’a fait te réparer encore. Si de toi-même ta ne peux que perdra, daigne celui qui t’a créé, te rendre ta grandeur première. Mais comment te relèvera-t-il par son Verbe, si tu ne penses pas bien de son Verbe ? L’Évangéliste dit : « Au commencement était le Verbe », et toi tu dis : Au commencement a été fait le Verbe. Il dit : « Toutes choses ont été faites par lui », et, selon toi, le Verbe lui-même a été fait ? L’Évangéliste pouvait dire : Au commencement a été fait le Verbe ; mais qu’a-t-il dit ? « Au commencement était le Verbe ». S’il était, il n’a pas été fait pour que toutes choses fussent faites par lui et que sans lui rien ne fût fait. Si donc : « Le Verbe était au commencement, si le Verbe était en Dieu, et si le Verbe était Dieu », et que tu ne puisses comprendre ce qu’il est, attends que ton intelligence se développe. Il est l’aliment des forts ; reçois le lait, afin d’être nourri et de

  1. Gen. 1, 1 suiv.