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DISCOURS SUR LE PSAUME 121

SERMON AU PEUPLE.

L’EXTASE DE L’AMOUR.

L’amour terrestre nous abaisse, l’amour nous élève dès qu’il vient du ciel. Il s’élève du milieu des scandales, du mélange des bons et des méchants, et s’élève à la Jérusalem d’en haut, où nous appellent ceux qui nous ont devancés. Figurons-nous que nous y sommes déjà, et que nous nous y tenons affermis dans la vérité, mais non affermis par nous-mêmes, comme l’orgueil pourrait le suggérer. Cette ville n’est point la Jérusalem terrestre qu’on ne bâtissait plus quand David chantait ainsi, mais celle qui a les saints pour pierres vivantes et le Christ pour fondement ; non celle que l’on devait rebâtir plus tard, celle-là était mie ville, celle-ci est comme une ville, et ceux qui la composent ont l’unité. Dieu seul est Un sans variation, il Est. Mais le Christ qui Est, puisqu’il est Dieu, a voulu devenir Fils d’Abraham, afin de nous faire participer à son être invariable, en nous délivrant des instabilités de cette vie, instabilité du cœur, des corps célestes, de l’âme occupée des pensées diverses. Pour avoir voulu être ferme par lui-même, l’ange est tombé ; après lui Adam. Dans la cité du ciel sont montées les tribus d’Israël ou du voyant Dieu. Il y avait en elles mélange de bons et de méchants ; ceux-là sont montés qui étaient sans déguisement ou sans orgueil, car l’orgueil veut paraître ce qu’il n’est point. Ces tribus montaient donc et confessaient le Seigneur ; l’orgueilleux ne confesse rien. Là sont assis les Trônes ; ils sont les trônes de Dieu, et sont assis pour juger et discerner ceux qui auront fait miséricorde, qui auront acheté des amis avec la monnaie de l’iniquité ; ceux-là seront à droite, les autres à gauche. De là cette force de la charité qui nous fait aimer la perfection chez les autres, acheter la paix du ciel au prix des biens terrestres, qui détruit ce que nous sommes pour nous faire devenir ce que nous ne sommes pas encore, qui se fait tout à tous pour plaire à Jésus-Christ, qui prêche le ciel par amour pour nos frères.


1. De même que l’amour impur embrase l’âme, la Porte à désirer ces biens terrestres et périssables qui doivent la faire périr à son tour, l’entraîne dans les bas-fonds, la plonge dans l’abîme ; ainsi l’amour chaste l’élève au ciel, l’embrase du désir des biens éternels, la stimule vers ces biens qui ne doivent ni passer, ni périr, et du fond de l’abîme la soulève jusqu’au ciel. Tout amour a son aiguillon ; pot ut de repos pour lui ; dans l’âme de l’amant, il faut qu’il entraîne. Veux-tu connaître la force de l’amour ? Vois où il nous conduit. Je ne vous exhorte donc point à ne rien aimer, seulement à n’aimer point le monde, afiti d’aimer plus librement Celui qui a fait le monde. Une âme liée par un amour terrestre a comme une glu sur les ailes, et ne saurait voler. Une fois purifiée des affections grossières de ce monde, elle commence à dégager de toute entrave ses plumes et ses ailes, c’est-à-dire à voler par le double précepte de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain[1]. Mais où se dirige son vol cependant, sinon vers Dieu, puisqu’elle s’élève par l’amour ? Or, avant d’y arriver, elle gémit sur la terre, si elle a déjà le désir de voler ; elle s’écrie : « Qui me donnera des ailes comme à la colombe, et je volerai et me reposerai ? »[2] D’où prendra-t-il son vol, sinon du milieu des scandales où gémissait aussi le Prophète à qui j’ai emprunté ces paroles ? C’est donc du milieu des scandales, c’est du mélange des bons avec les méchants, c’est de la confusion de la paille avec le bon grain qu’il veut prendre son vol, pour aller où il n’aura plus à souffrir du mélange et de la société des méchants, mais où il vivra dans le saint commerce des Anges, citoyens de la Jérusalem éternelle.
2. Ce psaume que nous entreprenons de vous expliquer aujourd’hui, ou plutôt celui qui parle et qui monte en ce psaume, aspire à la Jérusalem céleste. C’est en effet un cantique des degrés ; et, comme je vous l’ai dit souvent, ces degrés ne sont point faits pour descendre, mais pour monter. L’interlocuteur veut donc monter ; et où veut-il monter, si ce n’est au ciel ? Qu’est-ce à dire, au ciel ? Veut-il monter pour être au ciel avec le soleil, la

  1. Mt. 22,40
  2. Ps. 54,7