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les choses visibles jusqu’aux choses invisibles, et ce qui est mortel, et ce qui est immortel. Cet enchaînement des créatures, cet ordre admirable qui s’élève du plus bas au plus haut, pour redescendre d’en haut jusqu’en bas, qui n’est interrompu nulle part, admirablement pondéré par les contraires, tout cet enchaînement bénit le Seigneur. Comment toutes ces créatures bénissent-elles le Seigneur ? En ce que tu ne saurais en considérer la beauté sans louer Dieu qui en est l’auteur. La terre n’a qu’une voix muette, sa beauté ; mais quand l’on considère sa beauté, sa fécondité, sa vertu surprenante, cette germination des semences que l’on y répand, et même de celle que l’on ne sème point, cette considération est une manière de questionner, tes recherches sont des interrogations. Admirer cette beauté, en rechercher les causes, sonder cette force, cette fécondité surprenante, c’est comprendre bientôt que cette puissance ne lui vient point d’elle-même ; et il te vient en pensée qu’elle n’a pu exister par elle-même sans le Créateur. Mais cette conclusion que tu as trouvée, est une confession de la terre, une hymne en l’honneur du Créateur. Aussi, quand nous admirons en général cette beauté du monde, n’y a-t-il pas dans cette beauté comme une voix qui vous crie : C’est Dieu qui m’a faite, et non pas moi ?
14. Donc, « que toutes vos œuvres vous confessent, ô mon Dieu, et que vos saints vous bénissent ». Et pour que vos saints vous bénissent dans la confession de vos œuvres, que ces mêmes saints considèrent toute créature confessant vos grandeurs. Écoute leur voix qui bénit Dieu, et que disent les saints en vous bénissant, ô mon Dieu ? « Ils publieront la gloire de votre royaume, et chanteront votre puissance[1] ». Combien est puissant le Dieu qui a fait la terre ! Combien est puissant le Dieu qui a comblé la terre de ses biens ! Combien est puissant le Dieu qui a donné aux animaux une vie qui leur est propre ! Combien est puissant le Dieu qui a jeté dans les entrailles de la terre tant de semences diverses, pour donner des fruits si variés et si beaux, des arbres si majestueux ! Qu’il est grand ! qu’il est puissant ! Interroge la créature, et la créature te répond ; et cette réponse de la créature, qui est comme une confession de louanges, te porte, toi, le saint de Dieu, à bénir le Seigneur, à publier sa puissance.
15. « Afin qu’ils fassent connaître aux fils des hommes voire puissance, et la gloire éclatante de votre royaume[2] ». L’œuvre de vos saints, ô Seigneur, c’est de chanter la gloire de cette grande beauté de votre royaume, la gloire de la grandeur de la beauté. Il est en effet dans votre royaume une certaine grandeur de beauté ; c’est-à-dire que votre royaume a de la beauté, et une grande beauté. Quelle est cette beauté de votre royaume ? Que ce royaume ne nous effraie point, sa beauté nous ravira de joie. Quelle est cette beauté qui fera les délices des saints ? Ces bienheureux à qui l’on dira : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume[3] ». D’où viendront-ils ? Où iront-ils ? Voyez, mes frères, et si vous le pouvez, représentez-vous, autant que possible, cette beauté du royaume à venir, dont nous disons dans notre prière : « Que votre règne arrive[4] ». Ce règne dont nous souhaitons l’avènement, c’est ce règne à venir que chantent les saints. Voyez ce monde, il a de la beauté. Quelle beauté dans la terre, dans la mer, dans l’air, dans le ciel et dans les astres ! Toutes ces beautés ne sont-elles pas de nature à effrayer un observateur ? Cette beauté n’est-elle pas supérieure, au point que nulle autre ne la surpasse ? Toutefois, dans cette beauté, dans cette splendeur en quelque sorte inexprimable, il y a près de toi des vermisseaux, de vils animaux, tout ce qui rampe sur la terre ; tout cela vit dans cette splendeur. Quelle ne sera point la beauté de cet autre royaume où tu n’auras que les anges pour vivre avec toi ? C’était donc peu pour le Prophète de nous dire la gloire de la beauté ; ce qui pouvait se dire de toute beauté de ce monde, beauté verdoyante sur la terre, beauté resplendissante au ciel ; mais en disant : « De la grandeur de la beauté de votre royaume », le Prophète nous révèle ce que nous ne voyons pas encore, ce que nous croyons sans le voir, ce que nous désirons en le croyant, désir qui nous fait supporter tous nos maux. Il y a donc une grandeur d’une certaine beauté : puissions-nous l’aimer avant de la voir, afin d’en jouir quand nous la verrons.
16. « Votre royaume ». Qu’est-ce que votre

  1. Ps. 144,2
  2. Ps. 144,12
  3. Mt. 25,34
  4. Id. 6,10