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abominable des Manichéens, qui est publique et dont ils font l’aveu. Ils soutiennent qu’il est mieux pour un homme d’être usurier que laboureur. Tu en demandes la raison, et ils la donnent. Vois si cette raison ne mériterait pas mieux le nom de démence. Donner son argent à usure, disent-ils, ce n’est point blesser la croix de la lumière (beaucoup ne comprennent point cette expression, mais je l’expliquerai) ; au lieu que le laboureur, disent-ils, blesse beaucoup la croix de la lumière. Qu’est-ce que la croix de la lumière, diras-tu ? Ils répondent que ce sont les membres de Dieu, qui ont été pris dans ce combat, puis mêlés au monde entier ; qui sont dans les arbres, dans les plantes, dans les herbes, dans les fruits. C’est donc blesser les membres de Dieu, que fendre la terre avec la charrue ; les blesser que arracher une herbe de la terre, les blesser que détacher un fruit d’un arbre. Et cet homme, pour ne point commettre un homicide supposé dans un champ, commet tin véritable homicide par l’usure. Il refuse un morceau de pain à un mendiant ; tu lui en demandes la cause : c’est de peur que ce pauvre ne prenne et ne lie dans la chair cette vie qui est dans le pain, et qu’ils soutiennent être un membre de Dieu, une substance divine. Mais vous donc, pourquoi mangez-vous ? N’avez-vous donc point une chair ? Pour nous, disent-ils, Manichéens éclairés par la foi, nous élus, nous purifions par nos prières et par nos psaumes cette vie qui est dans ce pain, et nous l’envoyons dans les trésors célestes. Tels sont en effet les élus, que loin d’avoir Dieu pour Sauveur, ce sont eux qui sauvent Dieu. C’est là, disent-ils, le Christ crucifié dans le monde entier. Pour moi, j’avais cru d’après l’Évangile que le Sauveur c’est le Christ ; selon vos livres, au contraire, c’est vous qui êtes les sauveurs du Christ. Voilà ce qui fait de vous des blasphémateurs, et dès lors vous ne serez point sauvés par le Christ. Quoi donc ? vous laisserez mourir de faim un mendiant, vous lui refuserez un morceau, de peur que le membre de Dieu qui est dans ce morceau ne vienne à pleurer ? Votre fausse pitié pour ce morceau de pain, vous fait commettre envers uni homme un véritable meurtre. Que sont donc leurs élus ? « N’inclinez pas mon cœur vers les paroles de la malice, et je ne communiquerai pas avec leurs élus ».
13. « Le juste me reprendra par charité, et me fera des reproches[1] ». Voyez le pécheur qui fait des aveux ; il aime qu’on le reprenne par pitié, et non qu’on lui donne de fausses louanges. « Le juste me reprendra par charité » ; s’il est juste, s’il a de la miséricorde, il me reprendra quand il me verra pécher. Voilà ce que disent quelques membres de Jésus-Christ, à propos de quelques membres du Christ ; et ils le disent dans un même corps. Le Seigneur daigne parler dans la personne de celui qui reprend, il ne méprise le rôle ni de celui qui reprend, ni de celui que l’on doit reprendre. Tous ses membres sont en lui, et c’est lui qui dit : « Le juste me reprendra ». Quel est le juste qui vous reprendra ? La tête reprend tous les membres. « Le juste me reprendra dans sa miséricorde, et me fera des reproches ». Il me réprimera, mais dans sa miséricorde ; il me réprimera, mais sans me haïr ; et il me réprimera d’autant plus qu’il n’a point de haine contre moi. Pourquoi donc l’interlocuteur en rend-il des actions de grâces ? Parce qu’il est écrit : « Reprends le sage, et il t’en aimera[2] ». Le juste me reprendra, mais sera-ce en me persécutant ? Loin de là. Il est plutôt à réprimer lui-même, s’il réprime par haine. Par quel motif réprime-t-il ? « Par charité ; et il me fera des reproches ». Par quel motif ? par charité. « Le parfum du pécheur n’oindra point ma tête ». Qu’est-ce à dire : le parfum du pécheur n’oindra point ma tête ? Ma tête ne s’élèvera point par la flatterie. Une fausse louange est une flatterie, et la fausse louange du flatteur, c’est l’huile, du pécheur. Aussi quand on s’est ri de quelqu’un par une fausse louange, dit-on communément : Je lui ai parfumé la tête. Aimez donc la réprimande charitable d’un juste, et non les louanges dérisoires du flatteur. Ayez des parfums en vous-mêmes, et vous ne rechercherez point le parfum des pécheurs. Les vierges sages de l’Évangile portaient leur huile avec elles[3], c’est-à-dire que leur conscience leur rendait témoignage. L’huile est le symbole de la gloire, elle brille au-dehors, elle a de l’éclat. Mais cette gloire doit être bonne, être une véritable gloire, afin qu’on la renferme à l’intérieur et dans les vases qui lui conviennent. Écoute ce que signifie dans des vases : « Que l’homme s’éprouve lui-même, et alors il aura sa gloire

  1. Ps. 140,5
  2. Prov. 9,8
  3. Mt. 25,4