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leurs cœurs. Car « tout le jour » signifie sans interruption, ou tout le temps.
6. « Ils ont aiguisé leur langue comme celle du serpent[1] ». Vous cherchez encore l’homme en eux, mais voyez à quoi ils ressemblent. Le serpent a le plus de ruse, le plus d’habileté pour nuire ; c’est pour cela qu’il se glisse. Il n’a pas même de pieds qui vous laissent entendre sa marche. Sa route est marquée d’une traînée qui paraît douce, mais qui n’est pas droite. Il se coule doucement, il rampe afin de nuire ; ainsi ces hommes renferment un venin caché sous une douceur apparente. De là cette parole du Prophète : « Ils ont sous les lèvres le venin de l’aspic ». Le Prophète nous dit ici sous les lèvres, afin de nous montrer que sous les lèvres et sur les lèvres sont bien différents. Il stigmatise ouvertement ces hommes, quand il dit ailleurs : « Ils ont des paroles de paix avec leur prochain, et le mal est dans leurs cœurs[2] ».
7. « O Dieu, défendez-moi contre la main des pécheurs, délivrez-moi des hommes injustes[3] ». Ceux-ci sont connus, ils sont visibles ; il n’est point nécessaire ici de comprendre, mais d’agir, il faut prier sans demander qui ils sont. Mais le Psalmiste nous montre dans la suite comment nous devons prier contre ces hommes. Il en est qui prient contre les méchants d’une manière imparfaite. « Ils ont résolu de me faire tomber », dit le Prophète. Cela peut s’entendre encore d’une manière charnelle. Chacun a son ennemi, qui cherche à le tromper dans une affaire, à s’emparer de son argent, quand ils ont commerce ensemble ; chacun a son ennemi dans son voisin, qui cherche à lui nuire dans sa maison, à lui causer quelque dommage, qui médite la ruse, qui a recours àla fraude, qui cherche à nuire par toutes les machinations que lui suggère le diable » cela est hors de doute. Ce n’est point contre ces maux qu’il faut nous mettre en garde, mais contre leurs embûches pour nous attirer à eux, c’est-à-dire pour nous séparer du corps de Jésus-Christ et nous faire entrer dans leur corps. De même, en effet, que le Christ est le chef des bons, de même le diable est le chef des méchants. « Ils ont résolu de supplanter mes démarches ». Qu’est-ce à dire, « supplanter mes démarches ? » Ce n’est point pour te tromper dans une affaire que tu as avec lui, ni pour te tendre quelque piège dans un procès que tu soutiens coutre lui. Mais il a supplanté tes démarches, s’il t’a empêché de marcher dans la voie de Dieu, s’il t’a fait chanceler quand tu marchais droit, s’il t’a fait tomber dans la voie, ou jeté hors de la voie, ou retardé dans la voie, ou fait reculer dans la voie. Agir ainsi contre toi, c’est te supplanter, te tromper. Arme-toi de la prière contre de semblables pièges, afin de ne point perdre le patrimoine du ciel, ni ton héritage avec le Christ ; car tu dois vivre éternellement avec Celui qui t’a fait son cohéritier, Tu n’es pas, en effet, l’héritier d’un homme à qui tu doives succéder à la mort, mais de celui avec qui tu dois vivre dans l’éternité.
8. « Les superbes ont caché les pièges qu’ils me dressent[4] ». Le Prophète comprend eu un seul mot le corps du diable, quand il dit « les superbes ». De là vient que souvent ils se disent justes, en dépit de leurs iniquités. Delà rien de plus pénible pour eux que l’aveu de leurs fautes. Dans la fausseté de leur justice ils doivent nécessairement porter envie aux vrais justes. Car nul ne porte envie à un autre dans ce qu’il ne veut pas être en effet, ou du moins paraître. L’un porte envie à tes richesses, ou bien parce qu’il désire ces richesses qu’il t’envie, Ou bien parce qu’il veut paraître riche ; un autre porte envie à ton illustration, à ta noblesse, ou bien lui-même aspire à un rang distingué, ou veut que l’on croie à sa distinction. Il en est ainsi de tous les biens, ou du moins de tout ce que le monde regarde comme des biens ; un homme envie chez toi ce qu’il voudrait, ou posséder, ou même posséder à un degré supérieur, ou dont il veut se donner les apparences. Or, ceux qui n’ont qu’une fausse justice veulent se donner les apparences de la justice véritable ; et dès lors s’ils rencontrent un juste, ils doivent lui porter envie et s’efforcer de lui faire perdre ce dont ils se glorifient. De là viennent toutes les séductions, toutes les trahisons. Tel fut tout d’abord le dessein du diable qui, après sa chute, fut jaloux de l’homme demeuré fermé : et comme il a perdu le royaume des cieux[5], il ne voulut point que l’homme y parvînt, il ne le veut point encore ; tous ses efforts sont d’empêcher l’homme d’arriver au ciel d’où lui-même

  1. Ps. 139,4
  2. Id. 27,8
  3. Id. 139,5
  4. Ps. 139,6
  5. Gen. 3,1