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le bien, mes frères, cette misère dans laquelle nous voyons gémir le genre humain n’est qu’une douleur qui nous guérit, et non un arrêt qui nous châtie. Partout vous voyez la douleur, partout la crainte, partout l’angoisse, partout le travail pénible. C’est un trésor qui grossit, mais par nos misères. Si donc le Seigneur nous avertit, par tant de plaies, de ne point obscurcir encore nos ténèbres, reconnaissons sa main qui nous afflige et bénissons Dieu qui mêle aux douceurs de cette vie de saintes amertumes, de peur que dans l’aveuglement des terrestres délices nous ne désirions point les biens éternels, que nous ne souhaitions que la mer n’ait aucune borne, pour n’habiter jamais les confins de la mer. Que les flots de la mer se soulèvent donc ; plus ils s’agiteront dans leur fureur, et plus la colombe s’élèvera sur ses ailes. Ce n’est donc point le Seigneur qui obscurcit nos ténèbres, puisqu’à nos péchés, il entremêle des châtiments, et des amertumes à nos plaisirs corrupteurs. Mais nous, n’obscurcissons pas nos ténèbres, en défendant nos péchés, et la nuit aura une lumière dans nos délices, « parce que ce n’est point vous qui obscurcirez nos ténèbres ».
16. « Et la nuit est lumineuse comme le jour ». « La nuit ressemble au jour », est-il dit ; le jour, c’est la félicité du siècle ; et la nuit, c’est l’adversité ; mais si nous reconnaissons que nos péchés ont mérité les maux que nous souffrons, si nous trouvons des douceurs dans les châtiments d’un père, évitant ainsi l’arrêt sévère du juge, les ténèbres de cette nuit deviendront pour nous une lumière dans cette nuit. Mais si elle est nuit, quelle peut en être la lumière ? Elle est nuit, parce que le genre humain y est dans l’égarement. C’est la nuit, parce que nous ne sommes point encore arrivés à ce jour qui n’est point resserré entre celui d’hier et celui de demain, qui est l’éternel aujourd’hui, sans matin ni soir. Nous sommes donc ici-bas dans la nuit ; et toutefois cette nuit a sa lumière et ses ténèbres. Nous en avons dit en général pourquoi elle est nuit : quelle est la lumière de cette nuit ? La prospérité, le bonheur de ce monde, les joies passagères, les honneurs temporels, sont comme une lumière pour cette nuit ; tandis que le malheur, les tribulations amères, les ignominies en sont comme les ténèbres. Dans cette nuit, dans cette mortalité de la vie humaine, les hommes ont leur lumière, et i ! s ont leurs ténèbres ; la lumière, c’est la prospérité, les ténèbres l’adversité. Mais dès que le Christ habite une âme par la foi, dès qu’il promet une autre lumière, qu’il inspire et donne la patience, qu’il avertit l’homme de ne mettre point sa complaisance dans les prospérités du monde, pour n’être point abattu par l’adversité ; le fidèle commence à concevoir de l’indifférence pour ce monde, à ne s’élever point dans la prospérité, à ne point se laisser abattre par le malheur. Mais il bénit Dieu en toutes choses, non seulement dans l’abondance, mais aussi dans la disette ; non seulement dans la santé, mais aussi dans la maladie. Il justifie alors cette parole du psaume : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours en ma bouche[1] ». Si c’est toujours, ce sera dès lors, et quand la nuit éclaire et quand la nuit est obscure ; et quand la prospérité te sourit, et quand l’adversité te vient attrister, que sa louange soit toujours en ta bouche ; et alors se réalisera ce que dit le psaume : « Les ténèbres et la lumière sont une même chose pour lui ». Ses ténèbres ne m’accablent point, parce que sa lumière ne m’élève point.
17. Job était dans cette lumière ; il avait tout en abondance. Nous parler de ses grands biens, c’est nous décrire tout d’abord la lumière de sa nuit ; car c’était une lumière dans sa nuit que les biens et les richesses qu’il possédait. Or, l’ennemi crut qu’un si saint homme servait Dieu seulement à cause des grands biens dont il l’avait comblé, et il demanda qu’ils lui fussent enlevés. Alors sa nuit qui avait eu sa lumière fut changée en ténèbres. Job savait néanmoins que, soit lumière, soit ténèbres, c’est toujours la nuit quand nous sommes éloignés de Dicta ; et il avait pour lumière intérieure Dieu lui-même, lumière intérieure qui le rendait indifférent à la clarté ou aux ténèbres de cette autre nuit. C’est pourquoi, comme il servait Dieu fidèlement dans la lumière de cette nuit, c’est-à-dire dans l’abondance, que dit-il quand il eut tout perdu et que les ténèbres le couvrirent ? « Dieu a donné, Dieu a ôté comme il a plu au Seigneur, il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni[2] ». Je suis dans la nuit de cette vie. Le Seigneur qui habite mon âme, avait éclairé cette nuit de

  1. Ps. 33,2
  2. Job. 1