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voilà qu’il se dit étranger parmi les tentes de Cédar. Pourquoi ? Parce que « mon âme a été longtemps exilée ». Elle est étrangère dès qu’elle doit monter. Ce n’est point le corps qui est en exil, puisque le corps ne monte pas. Mais où faut-il monter ? « C’est dans le cœur », dit le Prophète, « que sont les degrés ». Si donc on s’élève par le cœur, il n’y a pour s’élever par les degrés du cœur que l’âme exilée. Mais jusqu’à ce qu’elle arrive, « mon âme est longtemps étrangère ». Où ? parmi « les tentes de Cédar ».
9. « Avec ceux qui haïssent la paix, j’étais pacifique ». À vrai dire mes frères bien-aimés, vous ne pouvez comprendre la vérité de ce que vous chantez, si vous ne commencez à le pratiquer. Tant qu’on puisse le dire, de quelque manière qu’on l’expose, et avec quel choix d’expressions, cette parole n’entre point dans un cœur qui ne la pratique point. Commencez donc à pratiquer, puis écoutez ce que nous dirons. C’est alors que chaque parole du psaume fera couler des larmes, alors que vous le chanterez avec joie et que le cœur pratiquera ce que chante la voix. Hélas ! combien chantent de la voix quand le cœur est muet ! Combien aussi de lèvres silencieuses quand le cœur pousse des cris d’amour ! Or, c’est au cœur de l’homme qu’est l’oreille de Dieu ; de même que l’oreille de l’homme entend la voix du corps, l’oreille de Dieu entend la voix du cœur. Dieu en exauce beaucoup dont la bouche est fermée, et beaucoup d’autres avec leurs grands cris ne sont point exaucés. C’est donc par le cœur que nous devons prier et dire : « Mon âme a été longtemps étrangère avec ceux qui haïssent la paix, j’étais pacifique ». Que disons-nous autre chose à ces hérétiques, sinon, connaissez la paix, aimez la paix. Vous vous dites justes. Si vous l’étiez, vous gémiriez comme le bon grain mélangé à la paille. Comme il y a aussi de bons grains, de véritable froment dans l’Église catholique, ils tolèrent la paille jusqu’à ce que le van passe dans l’aire, et c’est parce qu’il y a de la paille, qu’ils s’écrient : « Hélas ! mon exil est bien prolongé, j’habite parmi les tabernacles de Cédar ». J’habite avec la paille, dit le Prophète ; mais de même que d’un monceau de paille il sort beaucoup de fumée, il sort de Cédar d’épaisses ténèbres. « J’ai habité parmi les tabernacles de Cédar ; mon âme a été longtemps étrangère ». Tel est le cri du bon grain qui gémit parmi la paille. Ainsi disons-nous à ceux qui haïssent la paix, et nous leur répétons : « J’étais pacifique avec ceux qui haïssent la paix ». Qui donc hait la paix ? Celui qui brise l’unité. Ils demeureraient dans l’unité, s’ils ne haïssaient point la paix. Mais c’est parce qu’ils étaient justes qu’ils ont fait schisme et afin de n’être point mêlés avec les injustes. Ou bien, c’est nous qui parlons ici par la bouche du Prophète, ou bien ce sont eux. Choisissez. L’Église catholique s’écrie qu’il ne faut point rompre l’unité, ni faire de schisme dans l’Église du Christ ; que Dieu jugera plus tard les bons et les méchants ; que s’il est impossible aujourd’hui de séparer les bons des méchants, il faut tolérer cela pour un temps ; que les méchants peuvent bien être mélangés avec nous dans l’aire, mais qu’ils n’y seront point dans les greniers célestes ; que s’ils paraissent mauvais aujourd’hui, demain peut-être ils seront bons, et que ceux qui s’enorgueillissent aujourd’hui de leur bonté peuvent demain être méchants. Quiconque dès lors supporte un moment les méchants arrivera au repos éternel. Ainsi dit l’Église catholique. Que disent maintenant nos adversaires, qui ne savent ni ce qu’ils disent, ni ce qu’ils affirment[1] : « Ne touchez à rien d’impur[2] » ; et encore : « Quiconque touchera quelque chose d’impur sera impur lui-même[3] ». Séparons-nous ; point de mélange avec les méchants. Aimez la paix, disons-nous à notre tour, aimez l’unité. Ignorez-vous de combien de justes vous vous séparez, quand vous semblez ne vous en prendre qu’aux méchants ? À cette réponse, les voilà qui s’emportent, qui bondissent de colère, qui cherchent à nous donner la mort. Souvent nous avons vu leurs violences, découvert leurs embûches. Dès lors que nous vivons au milieu de leurs pièges, et qu’ils s’irritent quand nous leur disons : Aimez la paix, nous revendiquons pour nous cette parole du Prophète : « Avec ceux qui haïssent la paix, j’étais pacifique, et quand je leur parlais, ils m’attaquaient sans motif ». Qu’est-ce à dire, mes frères, « ils m’attaquaient ? » Et c’est peu encore ; le Prophète ajoute « sans sujet ». Dire à ces rebelles : Aimez la paix, aimez le Christ, est-ce donc leur dire : Aimez-nous et honorez-nous ? Non, mais honorez le Christ ; point d’honneur pour nous, mais tout

  1. 1 Tim. 1,7
  2. Isa. 52,11
  3. Lev. 22,5