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ils, ceux qui montent ? Ceux qui font des progrès dans l’intelligence des choses spirituelles. Et ceux qui descendent, qui sont-ils ? Ceux qui ont le goût et l’intelligence des choses spirituelles, autant que le peuvent des hommes, et qui néanmoins s’abaissent au niveau des petits, afin de leur tenir un langage proportionné à leur faiblesse, de les nourrir de lait, jusqu’à ce qu’ils deviennent assez forts pour prendre une nourriture spirituelle. Isaïe, mes frères, fut lui-même un de ceux qui s’abaissèrent à notre niveau : on voit facilement par quels degrés il est descendu. En parlant de l’Esprit-Saint : « Sur lui », dit-il, « reposera l’Esprit de sagesse et d’intelligence, l’Esprit de conseil et de force, l’Esprit de science et de piété, l’Esprit de crainte du Seigneur[1] » ; il commence par la sagesse, et descend jusqu’à la crainte. De même que celui qui enseigne descend de la sagesse à la crainte, toi qu’il enseigne, élève-toi de la crainte à la sagesse. Car il est écrit que le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur. Écoutez maintenant le psaume : représentons-nous un homme qui va monter[2]. Où seront ses degrés ? Dans son cœur. D’où s’élèvera-t-il ? De l’humilité ou de la vallée des pleurs. Où va-t-il s’élever ? À ce je ne sais quoi d’ineffable, que dans son impuissance le Prophète appelle « le lieu qu’il a disposé[3] ».
3. Dès lors que l’homme a ainsi disposé son ascension, ou, plus clairement, dès lors qu’un chrétien songe sérieusement à s’avancer dans la vertu, il est en butte aux langues de ses adversaires. Quiconque n’a point encore essuyé ces attaques, n’a fait encore aucun progrès, et quiconque n’en souffre point, n’essaie point de s’avancer. Veut-il comprendre ce que nous disons ? qu’il fasse l’expérience de ce que nous allons entendre. Qu’il commence à marcher, qu’il conçoive le désir de s’élever, le désir de mépriser tout ce qui est terrestre, fragile, temporel, de regarder comme rien une félicité passagère, de ne penser qu’à Dieu seul, de n’être sensible à aucun avantage, abattu par aucun revers, le désir de tout vendre pour le donner aux pauvres et suivre Jésus-Christ : voyons commuent s’élèveront contre lui les langues des méchants, quelles contradictions il va souffrir, et ce qui est plus grave, en le détournant du salut, sous prétexte de lui donner des conseils. Qu’un homme donne des conseils, il le fait pour le bien, il le fait pour le salut, mais ceux-ci détournent du salut. Comme donc, sous le manteau de la bienveillance, ils cachent un venin mortel, ils sont appelés dans l’Écriture des langues trompeuses. Donc, avant de s’élever, le Prophète implore le secours de Dieu contre ces langues perfides, et s’écrie : « Seigneur, dans mes tribulations j’ai crié vers vous, et vous m’avez exaucé[4] ». Comment Dieu l’a-t-il exaucé ? En le plaçant sur les degrés pour s’élever.
4. Et comme il va monter parce qu’il est exaucé, que va-t-il demander ? « Seigneur, délivrez mon âme des lèvres injustes et des langues trompeuses[5] ». Qu’est-ce qu’une langue trompeuse ? Une langue fourbe, qui a l’apparence de nous conseiller, et la perfidie de nous nuire. Tels sont les hommes qui nous disent : Et toi aussi, tu feras ce que nul ne saurait faire ; seul, tu seras chrétien. Que si nous leur prouvons que beaucoup d’autres avant nous ont agi de la sorte ; si nous leur lisons dans l’Évangile le Précepte que nous en fait le Seigneur, ou les Actes des Apôtres, que nous répondent leurs langues fourbes, leurs lèvres trompeuses ? L’entreprise est bien difficile, et tu n’en viendras pas à bout. Les uns nous détournent par leurs défenses, les autres font de leurs louanges une persécution plus violente encore. Comme cette vie chrétienne s’est répandue dans le monde entier, l’autorité du Christ y est si grande que les païens n’osent plus élever la voix contre lui. On lit cette parole de celui qu’on ne saurait contredire : « Allez, vendez tout ce que vous avez, distribuez-le aux pauvres, et suivez-moi »[6]. On ne saurait contredire le Christ, ni contredire l’Évangile, ni blâmer ses paroles ; alors la langue trompeuse élève un obstacle par ses louanges. O langue, si tu as des louanges, exhorte, du moins ; pourquoi détourner par des flatteries perfides ? Le blâme serait préférable à de fausses louanges. Que pourrais-tu dire dans tes invectives ? Loin de nous une telle vie, elle est honteuse, elle est criminelle. Mais, comme tu sais qu’en parlant de la sorte l’autorité de l’Évangile t’imposerait silence, tu prends d’autres détours, afin d’éloigner les hommes de la vie chrétienne, et par une fausse louange

  1. Isa. 10,2-3
  2. Pro. 1,7
  3. Psa. 83,7
  4. Psa. 119,1
  5. Id. 2
  6. Mat. 19,21