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quel état de bassesse j’étais réduit ! À quel degré d’élévation je suis parvenu ! J’en garderai le souvenir, c’est pour moi un devoir de ne pas oublier ce que dit un autre psaume : « Mon père et ma mère m’ont abandonné, mais le Seigneur m’a pris en sa garde[1]. Je vous garderai ma force, ô mon Dieu, car vous m’avez pris sous votre garde ».
19. « Vous êtes mon Dieu : sa miséricorde me préviendra[2] ». Voilà ce que le Prophète veut faire entendre en disant : « Je vous garderai ma force » ; je ne mettrai point ma confiance en moi-même. Quel bien ai-je pu faire, pour que vous preniez pitié de moi et que vous me fassiez entrer dans la voie de la justice ? Qu’avez-vous trouvé en moi, sinon le péché, rien que le péché ? Ce que vous m’avez fait en me donnant la vie venait de vous, et je ne pouvais vous offrir autre chose, car tout le reste, c’est-à-dire les péchés que vous m’avez pardonnés, venait de moi. Ce n’est pas moi qui me suis éveillé le premier pour revenir à vous ; c’est vous qui vous êtes approché de moi pour me tirer de mon sommeil, « car sa miséricorde me préviendra ». Sa miséricorde me préviendra avant que je fasse le moindre bien. Que répondra à cela le malheureux Pélage ?
20. « Mon Dieu me l’a fait voir dans mes ennemis[3] ». C’est-à-dire, Dieu m’a fait voir par mes ennemis, toute la miséricorde dont il a usé à mon égard. Que celui qui a été recueilli par le Seigneur, se compare à ceux que Dieu a délaissés, et que celui qu’il a choisi se compare à ceux qui ont été réprouvés. Que les vases de miséricorde se comparent aux vases de colère, et considèrent que, « de la même masse, Dieu a fait les uns pour être des vases d’honneur, et les autres pour être des vases d’ignominie ». Que signifient ces paroles : « Dieu me l’a fait voir par mes ennemis ? Dieu voulant manifester sa colère et sa puissance, a souffert avec beaucoup de patience les vases de colère qui ont été destinés à la perdition, afin de faire mieux voir sa bonté envers les vases de miséricorde[4] ». Si donc il a supporté les vases de colère, pour faire connaître les richesses de sa bonté à l’égard des vases de miséricorde, c’est avec une extrême justesse que le Prophète a dit : « Sa miséricorde me préviendra : « Mon Dieu me l’a fait voir dans mes ennemis ». C’est-à-dire : il m’a fait comprendre l’étendue de sa bonté pour moi, en me donnant pour exemple ceux qu’il n’a pas aimés comme il m’a aimé moi-même ; car si l’on ne fait mourir un débiteur insolvable, celui à qui on remet sa dette se montre moins reconnaissant. « Dieu me l’a fait voir dans mes ennemis ».
21. Quant à ses ennemis eux-mêmes, qu’est-ce qu’ajoute le Prophète ? « Ne les faites point mourir, ô mon Dieu, de peur qu’ils oublient votre loi ». Il prie pour ses ennemis ; il accomplit le précepte de la charité. Tout à l’heure nous entendions sortir de sa bouche ces paroles : « N’ayez compassion d’aucun de ceux qui commettent l’iniquité ». Maintenant il dit : « Ne les faites point mourir, de peur qu’on oublie votre loi ». Comment accorder ensemble ces deux passages de notre psaume ? Comment Dieu peut-il en même temps ne pas prendre en pitié des pécheurs, et ne pas les faire mourir dans la crainte qu’on oublie sa loi ? Ici, remarquez-le, le Prophète parle de ses propres ennemis. Hé quoi ! ses ennemis observent-ils donc les lois de la justice ? Si ceux qui le haïssent pratiquent la justice, il est donc lui-même coupable d’injustice ? Mais comme il observe les lois de l’équité, il endure, par là même, de la part de ses ennemis, des procédés injustes : il est donc évident qu’en se déclarant l’adversaire des justes, on se constitue soi-même dans l’état de péché. Comment donc a-t-il pu dire tout à l’heure : « N’ayez compassion d’aucun de ceux qui commettent l’iniquité », pour faire maintenant cette prière en faveur de ses ennemis : « Ne les faites point mourir, de peur qu’on oublie votre loi ? » Ne prenez donc point pitié d’eux, afin de tuer leurs péchés ; ne faites point mourir ceux dont vous tuez les péchés. Qu’est-ce qu’être tué ? C’est oublier la loi de Dieu. Se plonger dans l’abîme du péché, voilà la véritable mort. Ceci peut très bien s’entendre des Juifs. Mais quel rapport ce passage peut-il avoir avec les Juifs : « Ne les tuez pas, de peur qu’on oublie votre loi ? » Ne faites point mourir ces malheureux qui se sont déclarés contre moi, et m’ont fait mourir moi-même. Que la nation juive subsiste toujours. Sans doute, les Romains l’ont vaincue, leur ville a été détruite de fond en comble : on ne permet à aucun de ses membres de rentrer dans leur cité sainte, et pourtant, il y

  1. Ps. 26,10
  2. Id. 58,11
  3. Id. 12
  4. Rom. 9,21-23