Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/636

Cette page n’a pas encore été corrigée

Psalmiste ? « Si ce que vous dites est vraiment juste, enfants des hommes, soyez justes dans vos jugements ». Quelle preuve donner de la différence qui se trouve entre tes jugements et tes paroles ? J’ai déjà reçu de toi un témoignage non équivoque de la préférence que tu donnes à la fidélité. Mais voilà qu’un ami est venu je ne sais d’où pour te visiter, et, en l’absence de tout témoin, il t’a confié un trésor. Personne, du moins du côté des hommes, personne, si ce n’est lui et toi, ne connaît cet acte de confiance. Il y avait là pourtant un témoin, un témoin invisible, mais un témoin qui voit tout. Avant de remettre en tes mains son trésor, ton ami a eu peut-être soin d’écarter toute autre personne : il t’a conduit dans un endroit secret, dans la chambre où tu couches : mais ce témoin du dépôt, qu’on ne voit point dans l’intérieur d’une chambre à coucher, habite le fond de vos consciences. Ton ami, après t’avoir confié la somme d’argent dont il s’agit, a repris le chemin de sa demeure, gardant à cet égard un silence absolu vis-à-vis des membres de sa famille, espérant d’ailleurs revenir au moment opportun, et rentrer en possession de son bien, car un homme doit-il tromper ceux avec lesquels il est lié d’affection ? Cependant, comme les choses de ce monde sont fragiles, cet homme vient à mourir laissant un fils pour hériter de lui : cet enfant ne sait ce que possédait son père ; il ignore le dépôt confié à la garde de ta bonne foi. Homme prévaricateur, rentre ; oui, rentre dans ton cœur : une loi s’y trouve écrite ; cette loi, la voici : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ». Suppose que tu es l’auteur même du dépôt, que tu n’en as rien dit à aucun des tiens, et qu’en mourant tu as laissé un fils : quel procédé aurais-tu le droit d’attendre de la part de ton ami ? Réponds-moi : prononce toi-même la sentence. En ton âme est dressé le tribunal du juge : le Seigneur Dieu y est assis : ta conscience fait l’office d’accusateur : le bourreau, c’est la crainte. Tu vis au milieu d’intérêts humains : tu fais société avec des hommes : vois donc quelle manière d’agir tu exigerais de ton ami à l’égard de ton fils. Je sais bien ta pensée, je connais ta réponse qu’elle te serve donc de guide pour prononcer ton jugement. Prononce la sentence : elle sera juridique. La vérité ne sait pas se taire : ses déclarations viennent de plus loin que les lèvres : elles viennent du cœur ; prêtes-y l’oreille, et conforme à ses décisions la conduite que tu tiendras envers le fils de ton ami. Forcé par le besoin, cet enfant est peut-être devenu un vagabond : il ne sait ce que possédait son père : il ignore quel usage il a fait de son bien : ou ne lui a jamais dit en quelles mains il en a fait le dépôt. Suppose qu’il est ton fils : tu méprises son père, parce qu’il est mort : agis comme si ce père était vivant, et, afin de ne point perdre la vie de l’âme, conduis-toi de la même manière que tu désirerais voir dans les autres, si tu venais à mourir. Mais l’avarice donne des conseils bien différents : elle commande des choses contraires à la loi de Dieu. Autres sont les ordres du Seigneur ; autres ceux de l’avarice. Dans le paradis, notre Créateur nous enjoint ses volontés : le serpent séducteur, venant à l’encontre, enjoint le contraire. Rappelle en ta mémoire ta première chute en Adam : c’est à cause d’elle qu’il te faut mourir, souffrir, manger ton pain à la sueur de ton front : c’est à cause d’elle que la terre se couvre pour toi de ronces et d’épines[1]. Puisses-tu trouver dans les leçons de l’expérience la sagesse que tu n’as pas voulu puiser dans les préceptes du Seigneur ! Néanmoins la cupidité l’emporte : pourquoi la vérité n’est-elle pas la plus puissante ? Que sont aussi devenues ces paroles, si conformes à la justice, que tu prononçais tout à l’heure ? Je te vois résolu à nier le dépôt confié à tes soins : tu n’as d’autre pensée que celle d’en frustrer l’héritier de ton ami. Il n’y a qu’un instant, je t’avais demandé lequel tu aimais le mieux, lequel tu préférais de l’or ou de la bonne foi : pourquoi parler d’une manière et agir de l’autre ? Ce passage du psaume ne t’inspire-t-il aucune crainte ? « Si vous parlez vraiment selon la justice, enfants des hommes, soyez justes dans vos jugements ». Tu m’as dit que la bonne foi est de beaucoup la meilleure, et voilà que dans ton jugement tu donnes la préférence à l’or. Tes paroles ne laissaient pas supposer de ta part une semblable manière d’agir : tes paroles sont justes, tes jugements sont faux. Quand tu parlais ainsi d’après les règles de la justice, tu parlais donc contre ta façon de penser ! « Si vous parlez vraiment selon la justice, enfants

  1. Gen. 3,17-18