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fruits devinrent amers, elle cessa d’être la vigne du Seigneur ; elle devint étrangère pour lui. « Les Allophyles se saisirent » donc « de la personne de David ». De fait, l’Écriture nous raconte que David, fils de Jessé, roi d’Israël, se retira chez les Allophyles pour échapper aux poursuites de Saül[1] ; il entra dans leur ville et même dans le palais de leur roi ; mais elle ne nous dit pas qu’ils l’aient retenu prisonnier. Les Allophyles ont donc retenu et retiennent encore dans Geth notre véritable David, Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est né de la race du roi d’Israël. Nous avons dit que Geth était une ville. Si nous cherchons à connaître le sens de ce nom, nous trouverons qu’il signifie pressoir. Jésus-Christ, notre Chef, le Sauveur de tout le corps, qui est né d’une Vierge, qui a été attaché à la croix, et qui nous montre déjà, dans le mystère de sa chair ressuscitée, l’espérance et le modèle de notre propre résurrection, Jésus-Christ se trouve encore ici-bas ; il y est présent dans son corps, et ce corps c’est l’Église. Le corps est intimement uni à son Chef, et le Chef, parlant au nom du corps, s’écrie : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu[2] ? » Et le corps est dans son Chef, selon cette parole de l’Apôtre : « Il nous a ressuscités avec lui, et il nous a fait asseoir avec lui dans le ciel[3] ». Nous sommes assis avec lui dans le ciel, et il souffre avec nous sur la terre ; c’est en espérance que nous sommes avec lui dans le ciel, et c’est par charité qu’il souffre avec nous sur la terre. En vertu de cette mutuelle union, qui semble ne faire de nous et de Jésus-Christ qu’un seul homme, l’Époux et l’Épouse ne sont plus qu’une seule chair ; voilà pourquoi le Sauveur a dit : « Ils ne sont plus deux, mais ils sont une seule chair[4] ». Comment donc le Christ est-il retenu prisonnier dans Geth ? Son corps, c’est-à-dire son Église, est enfermé dans le pressoir ? Qu’est-ce à dire, dans le pressoir ? pans les tribulations. Mais il y a un avantage d’être serré dans le pressoir. À la vigne, le raisin n’est pas pressé ; il y apparaît dans son entier, mais il n’en sort rien. On le porte au pressoir, on l’y foule, on l’y écrase, ou semble lui faire tort ; mais le tort apparent qu’on lui cause est loin d’être inutile : sans cela le raisin demeurerait stérile.
4. Les hommes qui se sont éloignés des saints les font souffrir. Que ceux-ci lisent donc attentivement ce psaume ; qu’ils s’y reconnaissent ; et, puisqu’ils sont sujets aux tribulations dont il parle, qu’ils répètent la prière du Prophète, Il n’est pas nécessaire que celui qui n’endure rien redise les paroles du Psalmiste ; je n’y astreins nullement les chrétiens placés en dehors des tourments de la vie ; mais qu’ils prennent garde de s’éloigner des saints en voulant s’écarter de la souffrance. Chacun de nous doit penser à son ennemi ; et, s’il est chrétien, son ennemi c’est le monde. Toutefois, en entendant l’explication de ce psaume, ne reportons point nos pensées sur nos inimitiés particulières, car nous devons le savoir, nous n’avons pas à combattre contre la chair et le sang, mais contre les princes, les puissances et les esprits de malice, ou, en d’autres termes, contre le démon et ses anges[5]. La raison en est facile à saisir : quand des hommes nous tourmentent, c’est le démon qui leur en suggère la pensée, qui anime leur volonté et les tourne à sa guise comme des vases qui lui appartiennent. Ne l’oublions donc pas, nous avons deux ennemis ; l’un visible et l’autre invisible ; l’homme que nous voyons et le démon que nous ne voyons pas. Aimons l’homme, mettons-nous en garde contre le démon ; prions pour l’homme, prions contre le démon, et disons à Dieu : « Seigneur, prenez pitié de moi, parce que l’homme m’a foulé aux pieds ». Si un homme te foule aux pieds et t’écrase, ne crains rien, pourvu que tu produises du vin, car tu n’es devenu raisin que pour être ainsi écrasé. « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que l’homme m’a foulé aux pieds. L’homme », qui s’est éloigné des saints, « m’a fait la guerre et m’a tourmenté pendant tout le jour ». Mais pourquoi ne pas entendre du démon ces dernières paroles ? Serait-ce parce qu’on ne l’a jamais désigné sous le nom d’homme ? L’Évangile ferait-il erreur quand il dit : « L’homme ennemi a fait cela[6] ? » Quoiqu’il ne soit pas homme, il peut donc, en une certaine manière, s’appeler de ce nom. Ainsi parlait le Psalmiste, et il avait en vue, soit le démon, soit le peuple qui s’était éloigné des saints, soit chacun de ceux qui l’avaient suivi, c’est-à-dire les hommes dont le démon se sert pour tourmenter le peuple de Dieu, ce peuple inviolablement

  1. 1 Sa. 21,10
  2. Act. 9,4
  3. Eph. 2,6
  4. Mt. 19,6
  5. Eph. 6,12
  6. Mt. 13,28