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et je rends grâces à Dieu de ce que vous prêtez à mes paroles une si grande attention. Si je m’apercevais que vous éprouvez de l’ennui à m’entendre, je me tairais : néanmoins, et autant que Dieu m’en ferait lai grâce, je m’en entretiendrais dans le secret de mon âme. Vienne donc sur mes lèvres l’expression des pensées de mon cœur ; que ma parole les manifeste au grand jour ! Expliquons, comme nous le pourrons, ces quelques mots : « Je vous offrirai des sacrifices volontaires ». De quel sacrifice est-il ici question, mes frères ? Quelle offrande digne de lui ferai-je au Seigneur pour le remercier de ses bienfaits ? Irai-je chercher comme victime la brebis la plus grasse du troupeau ? Choisirai-je un bélier ? Aviserai-je le plus beau bœuf de l’étable ou rapporterai-je des parfums du pays de Saba ? Que faire ? Que lui offrir, sinon ce qu’il dit lui-même : « Le sacrifice de louanges m’honorera[1] ». Qu’est-ce à dire : « Volontaire ? » J’aime gratuitement l’objet de mes louanges. Je loue Dieu, et je mets mon bonheur dans l’accomplissement de ce devoir : j’y trouve ma joie, car celui que je loue est le sujet de ma gloire. Mais, en cela, je ne ressemble aucunement à ces amateurs de farces théâtrales, qui saluent de leurs acclamations un cocher, un chasseur, le premier histrion venu, qui invitent les autres témoins de ces farces à les imiter et à crier comme eux, et qui, à la fin, sont trop souvent réduits à rougir de la défaite de leurs coryphées. Il ne doit pas en être ainsi quand nous louons Dieu : que notre louange soit volontaire : aimons-le sincèrement : aimons-le, louons-le gratuitement. En parlant de la sorte, nous voulons dire : pour lui-même, et non pour autre chose. Si tu loues Dieu pour obtenir de lui quelque autre chose, tu ne l’aimes pas gratuitement. Ne rougirais-tu pas de ne devoir qu’à tes richesses l’affection de ta femme ? N’aurais-tu pas lieu de craindre qu’elle se rende coupable d’adultère dans le cas où tu deviendrais indigent ? Si tu exiges d’une Épouse un amour gratuit, seras-tu admis à aimer Dieu d’une manière intéressée ? O avare, quelle récompense le Seigneur te réserve ! Il ne te donne pas la terre ; mais, en se donnant lui-même à toi, il te donne celui qui a fait le ciel et la terre. « Je vous offrirai des sacrifices volontaires ». Ne lui en offre point de forces ; car si ta louange est intéressée, elle est par là même forcée. Si, en effet, tu possédais ce qui charme ton cœur, tu ne louerais pas Dieu. Écoute bien ce que je dis. Tu loues Dieu, par exemple, pour obtenir de lui une fortune considérable : si tu connaissais un autre moyen de te la procurer, la demanderais-tu à Dieu ? Lui offrirais-tu le tribut de tes hommages ? Donc, en louant Dieu à propos de la fortune que tu veux acquérir, tu le loues forcément et non pas d’un plein gré, car alors tu aimes autre chose que lui. Voilà pourquoi le Prophète a dit : « Je vous offrirai des sacrifices volontaires. Méprise toutes choses, considère Dieu avant tout. Les bienfaits tirent leur prix de celui-là même qui nous les distribue, car tous les biens temporels nous viennent de sa main généreuse : aux uns, il les accorde pour leur bonheur ; aux autres, pour leur malheur : à tous il les accorde suivant la hauteur et la profondeur de ses jugements. En présence de ces impénétrables jugements de Dieu, l’Apôtre se sentait saisi d’épouvante et s’écriait : « O profondeur de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles ! Que ses voies sont impénétrables ! Qui est-ce qui peut sonder toutes ses voies ou comprendre tous ses desseins[2] ! » Il sait donc quand il enrichit et qui il enrichit, quand il appauvrit et qui il appauvrit. Demande-lui aujourd’hui ce qui plus tard te sera utile, ce qui te sera éternellement avantageux. Pour lui, aime-le gratuitement. Pourrait-il te donner quelque chose de meilleur que lui-même ? Si, parmi ses bienfaits, tu trouves mieux que lui, demande-le. « Je vous offrirai des offrandes volontaires ». Pourquoi, « volontaires ? » Parce qu’elles seront gratuites. Qu’est-ce à dire : gratuites ? « Et je confesserai votre nom, Seigneur, parce qu’il est bon » : pour nul autre motif que sa bonté même. Le Prophète dit-il : Seigneur, je rendrai hommage à votre nom, parce que vous m’accordez des terres fertiles, de l’or et de l’argent, d’immenses richesses, une fortune considérable, d’éclatantes dignités ? Non. Que dit-il donc ? « J’exalterai votre nom parce qu’il est bon ». Je ne trouve rien de meilleur que votre nom ; « c’est pourquoi, Seigneur, je lui rendrai hommage parce qu’il est bon ».
11. « Car vous m’avez délivré de toute affliction[3] ».

  1. Ps. 49,23
  2. Rom. 11,33-34
  3. Ps. 53,9