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ce que l’on veut dire ici : Nous sommes prosternés dans ha poussière à un tel point qu’il nous est impossible de l’être davantage ; l’humiliation est à son comble, soulagez-nous par votre pitié.
25. L’Église, mes frères, en parlant de la sorte, ne gémirait-elle point sur le sort de ceux que les persécuteurs ont entraînés à l’impiété, en sorte que ceux qui ont résisté diraient : « Notre âme a été humiliée dans la poussière ? » C’est-à-dire, entre les mains de cette poussière, livrés à ces persécuteurs impies, « notre âme a été humiliée dans la poussière », afin que nous invoquions votre puissance, et que vous nous accordiez votre secours dans la tribulation : « Nos entrailles s’attachaient à la terre », c’est-à-dire, nos entrailles se laissaient persuader par cette poussière impie : tel est le sens de cette expression s’attachaient ». En effet, si dans les flammes de la charité on dit très bien : « Mon âme s’attache à vous, ô mon Dieu »[1] ; et encore : « Il m’est bon de m’attacher à Dieu »[2], c’est bien s’attacher à Dieu que consentir à ce qu’il nous demande : et alors ce n’est pas sans raison que l’on dit du ventre qu’il s’est attaché à la terre, puisqu’il désigne ceux qui ont cédé à la persécution et consenti à l’impiété ; ils se sont donc attachés à la terre. Mais pourquoi les désigner par le ventre, sinon parce qu’ils sont charnels, et qu’ainsi le front de l’Église désignerait les saints, les hommes spirituels ; et le ventre, les hommes charnels ? Le front de l’Église est en évidence ; le ventre est caché, comme plus faible et moins résistant. C’est là ce que nous marque l’Écriture, à cet endroit où quelqu’un dit qu’il a reçu un livre, et que « ce livre était doux à sa bouche, mais amer dans ses entrailles »[3]. Qu’est-ce à dire, sinon que les principaux commandements, acceptés avec joie par l’homme spirituel, sont rejetés par l’homme charnel, et que cet homme charnel trouve la peine où l’homme spirituel trouve la joie ? Que dit encore ce livre, mes frères ? « Vends ce que tu possèdes, et donne-le aux pauvres ». Combien est suave une telle parole dans la bouche de l’Église ! Tout homme spirituel l’accomplit. Mais pour l’homme charnel, dites-lui : Fais cela ; et alors vous quitter avec tristesse, comme le riche de l’Évangile[4] quitta le Seigneur, est chose plus certaine que faire ce que vous lui avez dit. Pourquoi s’en aller triste, sinon parce que ce livre est doux à la bouche, amer dans les entrailles ? Tu as donné je ne sais combien d’or ou d’argent, et tu es dans cette alternative, ou de perdre cette somme, ou de commettre quelque péché, de faire outrage à l’Église, d’être contraint au blasphème ; alors, dans cette fâcheuse alternative, ou de perdre ton argent, ou de blesser la justice, on te dit : Perds ton argent plutôt que de perdre la justice. Mais toi, dont la bouche ne trouve rien de suave dans la justice, et qui es encore au nombre de ces membres infirmes qui composent les entrailles de l’Église, tu es dans une tristesse qui te fait préférer la perte de la justice à la perte de quelque pièce de monnaie, et tu encours un dommage bien plus grave, tu n’emplis ta bourse qu’en vidant ton cœur. C’est probablement de ceux-là qu’il est dit : « Nos entrailles s’attachaient à la terre ».
26. « Levez-vous, Seigneur, secourez-nous »[5]. Il s’est levé, mes frères bien-aimés ; oui, il s’est levé et nous a secourus. Car à son lever, c’est-à-dire à sa résurrection, quand il s’est fait connaître aux Gentils, la persécution a cessé, et alors ceux qui s’attachaient à la terre se sont arrachés à la terre, et la pénitence les a réintégrés au corps du Christ, malgré leur faiblesse, malgré leur imperfection, et cette parole s’est accomplie en eux : « Vos yeux ont vu ce qu’il y avait en moi d’imparfait, et tous seront écrits dans votre livre[6]. Levez-vous, Seigneur, secourez-nous, et rachetez-nous à cause de votre nom », c’est-à-dire gratuitement ; à cause de votre nom, et non point à cause de mes mérites ; parce que vous daignez le faire, et non parce que je suis digne que vous le fassiez. Si en effet nous ne vous avons pas oublié, si notre cœur ne s’est point éloigné de vous, si nous n’avons pas tendu les mains à des dieux étrangers, comment l’aurions-nous pu faire sans votre secours ? D’où nous serait venue cette force, si votre grâce ne nous eût parlé intérieurement, ne nous eût exhortés sans nous abandonner ? Que nous soyons donc, ou abattus par la tribulation, où consolés par la félicité, rachetez-nous, non point à cause de nos mérites, mais à cause de votre nom.

  1. Ps. 62,9
  2. Id. 63,28
  3. Apoc. 10,10
  4. Mt. 19,22
  5. Ps. 43,26
  6. Id. 138,16