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jugement, parce que je connais votre miséricorde. « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle d’un peuple impie ». Maintenant que je suis dans ces contrées de l’exil, vous ne faites encore aucune séparation locale, parce que je vis avec l’ivraie, jusqu’au temps de la moisson[1] ; vous ne me donnez pas une pluie à part, non plus qu’une lumière à part ; seulement, séparez ma cause. Mettez une différence entre celui qui croit en vous et celui qui n’y croit point. Semblables par la faiblesse, ils diffèrent par la conscience ; le labeur est le même, les désirs sont opposés. Les désirs des méchants périront ; mais le désir des justes pourrait nous laisser des doutes, si l’auteur des promesses n’était infaillible. Le terme de nos désirs est celui-là même qui nous a fait les promesses. Il se donnera, parce qu’il s’est déjà donné ; il se donnera immortel à des hommes immortels, lui qui s’est donné mortel à des mortels. « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle de la nation impie. Délivrez-moi de l’homme impie et trompeur » ; c’est-à-dire, d’un peuple qui n’est pas saint. Délivrez-moi de l’homme, dit le Prophète, c’est-à-dire, d’une certaine race d’hommes. Car il y a homme et homme ; et de ces deux, l’un sera pris, l’autre sera laissé[2].
3. Mais parce qu’il faut de la patience pour supporter, jusqu’à la moisson, ce que j’appellerais, si je le pouvais, une séparation non séparée ; car l’ivraie est avec le froment, et alors ils ne sont pas encore séparés ; mais l’ivraie c’est l’ivraie, et le froment c’est le froment, et alors il y a déjà une distinction ; donc parce qu’il faut de la force, implorons-la de celui qui nous a ordonné d’être forts ; et, si lui-même ne nous rend forts, nous ne serons point tels qu’il nous veut. Demandons la force à celui qui a dit : « Celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin »[3] ; et de peur de s’affaiblir en s’arrogeant la force, l’âme ajoute aussitôt : « C’est vous, Seigneur, qui êtes ma force ; pourquoi une rejeter ? pourquoi marché-je dans la tristesse, quand mon ennemi m’afflige ? » L’âme recherche la cause de sa tristesse : « Pourquoi, dit-elle, marché-je dans la douleur sous l’oppression de mon ennemi ? » Je marche dans la tristesse, mou ennemi me harcèle chaque jour de ses vexations, en me suggérant ce qu’il est mal d’aimer ou mal de redouter ; et mon âme, en résistant à cette double suggestion, sans être vaincue, est b néanmoins en danger ; alors, saisie de tristesse, elle dit à Dieu : Pourquoi ? Qu’elle s’informe près de lui et qu’elle entende ce pourquoi. Elle cherche dans le psaume la cause de sa douleur, en disant : « Pourquoi m’avez-vous repoussée, pourquoi marché-je dans la tristesse ? » Qu’elle l’apprenne d’Isaïe, qu’elle se souvienne du passage que l’on vient de lire : « L’esprit », dit-il, « sortira de moi ; et c’est moi qui ai fait tout ce qui respire ; j’ai quelque peu contristé ce peuple à cause de son péché ; j’ai détourné de lui ma face, et il est devenu triste, et il s’en est allé tout affligé dans sa voie »[4]. Quelle est donc ta question : « Pourquoi me repousser ? pourquoi marché-je dans la tristesse ? » Tu l’as entendu : à cause du péché. La cause de ta tristesse est donc le péché ; puisse la justice être la cause de ta joie ! Tu voulais du péché sans vouloir souffrir, C’était peu à tes yeux que ta propre injustice, tu as voulu rendre injuste celui-là même dont tu récusais les châtiments, Écoute cette parole plus équitable d’un autre psaume : « Vos humiliations sont un bien pour moi, afin que j’apprenne votre justice »[5]. Dans mon orgueil j’avais appris mes iniquités ; que j’apprenne votre justice dans l’humilité. « Pourquoi marcher tristement sous l’oppression de mon ennemi ? » Tu te plains de l’ennemi ; il t’afflige, en effet ; mais tu lui en as donné l’occasion. Et maintenant qu’il y a remède, forme un bon dessein ; admets en toi ton roi et bannis le tyran.
4. Mais écoutez ce que dit le Prophète pour en arriver là, les supplications qu’il emploie, l’humble prière qu’il fait. Prie toi-même comme tu entends prier, et prie lorsque tu entends ; que, cette parole soit unanime pour nous : « Envoyez votre lumière et votre vérité : elles m’ont guidé, elles m’ont introduit sur votre montagne sainte et dans votre vestibule »[6]. Votre lumière est en même temps votre vérité ; il y a deux noms, mais un seul objet. Qu’est-ce eu effet que la lumière de Dieu, sinon la vérité de Dieu ? Ou qu’est-ce que la vérité de Dieu, sinon la lumière de Dieu ? Et l’une et l’autre forment un seul Jésus-Christ. « Je suis la lumière du monde : celui qui croit en moi ne marchera point

  1. Mt. 13,10
  2. Id. 24,40
  3. Id. 10,22
  4. Isa. 57,16-17
  5. Ps. 118,71
  6. Id. 42,3