la persécution, soit du lion, soit du serpent, n’a jamais fait défaut à l’Église ; et la ruse est plus à redouter encore que la violence. Autrefois il forçait les chrétiens à renier le Christ, aujourd’hui il enseigne aux chrétiens à renier le Christ ; la violence jadis, la leçon aujourd’hui. Alors il recourait à la force, aujourd’hui c’est aux embûches ; on le voyait alors frémissant, on le découvre avec peine, aujourd’hui qu’il glisse et qu’il rampe. On sait comment alors il forçait les chrétiens à l’apostasie. On les entraînait pour qu’ils abjurassent le Christ, et la confession leur valait la couronne. Maintenant qu’il enseigne à renier le Christ, il trompe d’autant plus facilement que celui à qui l’on enseigne à renoncer au Christ ne s’aperçoit point qu’il s’en éloigne. Qu’est-ce que les hérétiques[1] disent maintenant au chrétien catholique ? Viens, fais-toi chrétien. Mais lui dit-on : Fais-toi chrétien, pour qu’il réponde : Je ne le suis pas ? Autre est ce langage : Viens, fais-toi chrétien, et autre : Viens, abjure le Christ. Un mal visible, c’est le rugissement du lion que l’on entend de loin, que l’on évite de loin. Mais le dragon se glisse, il rampe et dérobe sa marche légère ; il se traîne et ne fait résonner qu’un astucieux sifflement ; mais il ne dit pas : Renonce au Christ. Qui l’écouterait, avec tant de martyrs qui ont obtenu la couronne ? Mais il dit : Sois chrétien. Quiconque l’entend, charmé de sa voix, sinon encore infecté de son venin, répond : Mais je suis chrétien. S’il se laisse ébranler, si la dent du serpent le saisit, il répond : Pourquoi me dis-tu : Sois chrétien ? Quoi donc ? Ne suis-je pas chrétien ? Non, dit l’autre. Moi, je ne suis pas chrétien ? Non, encore une fois. Alors fais-moi chrétien, si je ne le suis pas. Viens alors, mais quand l’évêque te demandera : Qui es-tu ? Ne réponds pas : Je suis chrétien ; dis que tu ne l’es pas, afin que tu puisses le devenir. Car s’il entendait la profession de foi d’un chrétien, il n’oserait le rebaptiser. Mais quand il entendra ce qu’il n’est pas, il lui donnera ce qu’il paraît ne pas avoir, afin de s’abriter lui-même contre toute peine[2], en se conformant à la déclaration qu’on lui fait. Dis-moi donc, ô hérétique, pourquoi te croire exempt de fautes ? Que me dit cette déclaration ? Que ce n’est pas toi, mais ce chrétien qui renie le Christ ? Mais si le renégat est coupable, que sera-ce de celui qui lui donne des leçons d’apostasie ? Seras-tu donc innocent, quand tes leçons de chrétien obtiennent le même effet que les menaces d’un païen ? Que fais-tu enfin ? Parviens-tu à dépouiller cet homme de ce qu’il a, parce que tu lui fais dire qu’il ne l’a pas ? Sans l’en dépouiller, tu fais qu’il l’ait pour sa condamnation. Ce qu’il avait, il l’a toujours, car le baptême est comme un caractère indélébile ; l’ornement du soldat devient l’accusation du transfuge. Que fais-tu, en effet ? Tu mets le Christ sur le Christ. Si tu avais ta simplicité, tu ne chercherais pas un double Christ. Mais enfin, as-tu donc oublié que le Christ est la pierre, et que « cette pierre, qu’ont rejetée les architectes, est devenue la pierre angulaire ? »[3] Si donc le Christ est la pierre, et que tu veuilles mettre le Christ sur le Christ, aurais-tu oublié cette parole de l’Évangile, qu’une pierre ne restera pas sur une pierre ?[4] Telle est la force d’union qui est dans la charité, que de tant de pierres vivantes qui servent à construire le temple de Dieu, il ne se forme qu’une seule pierre. Mais toi qui fais schisme, tu retires les autres de cet édifice pour les inviter à la ruine ; et ces embûches sont nombreuses et de chaque jour ; et nous les voyons, et nous en souffrons, et nous faisons tous nos efforts-pour les réprimer, tantôt par la discussion, tantôt par la conviction, en allant les instruire, en les effrayant, mais toujours dans la charité, Et quand, malgré nos efforts, ils persévèrent dans leur malice, et que notre cœur s’attriste de la mort de nos frères ; quand il plaint ceux qui sont dehors, qu’il craint pour ceux du dedans, au milieu d’angoisses sans nombre, des continuelles épreuves de cette vie, que ferons-nous ? Car l’accroissement de l’iniquité attiédit la charité, « puisque la charité de beaucoup s’affaiblit par l’abondance de l’iniquité »[5]. Que ferons-nous donc, sinon ce qui suit, si néanmoins nous le pouvons avec le secours de Dieu : « Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin sera sauvé »[6].
2. Disons donc avec notre psaume : « J’ai attendu patiemment le Seigneur »[7]. Ce n’est point un homme quelconque avec ses promesses, un homme capable de tromper et de se tromper, que j’ai attendu avec patience ;
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