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tout faire pour guérir notre péché. Voilà que chaque jour tu pleures ton péché, mais peut-être que tes larmes coulent sans que la main agisse. Fais des aumônes, afin que tes péchés soient rachetés, que tes dons réjouissent l’indigent, afin que tu aies à te réjouir du don de Dieu. L’indigent a besoin, et tu as besoin ; il a besoin de toi, et toi de Dieu. Tu méprises le pauvre qui a besoin de toi, et Dieu ne te méprise pas, toi qui as besoin de lui ? Comble donc l’indigence du pauvre, afin que Dieu comble ton âme. C’est dire : « Je prendrai soin de mon péché », je ferai tout ce qu’il faut faire pour effacer mon péché, le guérir complètement. « Je prendrai soin de mon péché ».
25. « Quant à mes ennemis, ils vivent »[1]. Ils ont le bonheur, ils jouissent des félicités du siècle où j’endure la fatigue, et je rugis dans les gémissements de mon cœur. Comment vivent les ennemis de celui qui disait d’eux tout à l’heure : « Qu’ils ont dit des paroles vaines ? » Écoute ce qui est dit dans un autre psaume : « Leurs fils sont comme de nouvelles plantations » ; et plus haut : « Leur bouche porte le mensonge, leurs filles sont parées comme les autels d’un temple ; leurs greniers sont pleins, ils regorgent de çà et de là ; leurs bœufs sont gras, des brebis fécondes se multiplient dans leurs étables ; on ne voit point leurs haies en ruine, on n’entend point de cris dans leurs places publiques ». Donc, mes ennemis vivent : telle est la vie qu’ils mènent, la vie qu’ils chantent, la vie qu’ils aiment, la vie qu’ils possèdent pour leur malheur. Qu’ajoute en effet le Prophète ? « Ils ont appelé heureux le peuple qui a de tels biens ». Qu’en dis-tu, toi qui as soin de ton péché ? Quel est ton langage, ô toi qui accuses ton iniquité ? « Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu. Mes ennemis vivent ; ils prévalent sur moi ; ils se multiplient ceux qui une haïssent injustement »[2]. Que veut dire : Ils me haïssent injustement ? Ils haïssent celui qui leur veut du bien. Rendre le mal pour le mal, ce n’est pas être bon ; ne pas rendre le bien pour le bien, c’est de l’ingratitude ; mais rendre le mal pour le bien, c’est là haïr injustement. Ainsi firent les Juifs : le Christ est venu chez eux avec des biens, et pour ces biens ils lui ont rendu le mal. Craignons, mes frères, une faute semblable : il est si facile d’y tomber. Mais quand nous disons : Tels furent les Juifs, que chacun de nous se garde bien de se croire excepté. Que l’un de vos frères vous réprime pour votre bien, vous tombez dans cette faute, si vous le haïssez. Et voyez comme elle est facile, comme elle est bientôt commise ; évitez un si grand malheur, un péché si facile.
26. « Ceux qui me rendent le mal pour le bien, me déchirent parce que je poursuis la justice[3] ».C’est là le motif du bien pour le mal. Que signifie : « Je poursuis la justice ? » Je ne l’abandonne point. Ne prenons pas toujours la persécution en mauvaise part ; poursuivre, signifie suivre parfaitement : « Parce que j’ai poursuivi la justice ». Écoute le langage de notre chef qui gémit dans sa passion : « Ils m’ont rejeté, moi le bien-aimé, comme un mort en abomination. Était-ce peu d’être mort ? pourquoi en abomination ? Parce qu’il a été crucifié. Car cette mort sur la croix était une grande abomination pour ceux qui ne comprenaient pas que cette parole : « Maudit l’homme qui pend au bois[4] », était une prophétie. Le Christ n’a point apporté la mort ici-bas, il l’y a trouvée comme le fruit maudit du premier homme[5] ; et, se revêtant de cette mort qui était la nôtre et qui nous venait du péché, il l’a suspendue au bois. Dès lors, afin que l’on ne crût pas, comme certains hérétiques[6] l’ont fait, que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’avait qu’une chair apparente, et qu’il n’avait point subi la mort sur la croix, le prophète s’écrie : « Maudit tout homme qui pend au bois ». Il nous montre que le Fils de Dieu a souffert une véritable mort, celle qui était due à notre chair mortelle : il craint que, s’il n’est maudit, tu ne le croies pas mort. Comme donc cette mort n’était feinte, mais descendait par la filiation de cet Adam maudit d’après cet arrêt de Dieu : Tu mourras de mort[7] ; et, comme Jésus devait subir un véritable trépas, afin qu’il donnât ainsi une vie véritable, voilà qu’il est lui-même atteint par la malédiction de la mort, pour nous mériter la bénédiction de la vie. « Ils m’ont rejeté, moi le bien-aimé comme un mort en abominations. »
27. « Ne m’abandonnez pas, Seigneur Dieu, ne vous éloignez pas de moi[8] ». Disons

  1. Ps. 37,20
  2. Id. 143,12-15
  3. Ps. 37,21
  4. Deut. 21,22
  5. Gal. 3,10
  6. Manichéens
  7. Gen. 2,17
  8. Ps. 37,22