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quelquefois au contraire il parle au nom de son corps qui est la sainte Église réunie dans l’univers entier. Nous autres, nous sommes aussi de son corps, si toutefois nous avons en lui une foi sincère, une espérance ferme, une ardente charité ; nous sommes en son corps, nous en sommes les membres, et nous trouvons que c’est nous qui parlons ici, selon ce mot de saint Paul : « Parce que nous sommes les membres de son corps[1] », et que l’Apôtre a répété à plusieurs endroits. Dire en effet que ces paroles ne sont pas du Christ, c’est dire aussi que ces autres ne lui appartiennent point : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » Car nous y lisons aussi : « Mon Dieu, pourquoi m’abandonner ? Le rugissement de mes péchés éloigne de moi tout salut[2] ». Comme tu lis dans l’un : « La vue de mes péchés », tu lis dans l’autre : « Le rugissement de mes péchés ». Or, si le Christ est sans faute, sans péché, nous nous prenons à douter si les paroles de ce psaume lui appartiennent. Et pourtant, il serait dur et contrariant d’admettre que ce psaume ne regarde point le Christ, quand nous pouvons y lire la passion aussi clairement que dans l’Évangile. C’est là que nous lisons en effet : « Ils ont partagé mes vêtements et ont tiré ma robe au sort[3] ». Pourquoi donc le Seigneur, cloué à la croix, a-t-il récité de sa propre bouche le premier verset du psaume, et a-t-il dit : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » Qu’a-t-il voulu nous faire comprendre, sinon que c’est lui qui parle dans tout le psaume, puisqu’il en a récité le commencement ? Et quand il dit ensuite : « Les rugissements de mes péchés », il n’est pas douteux que ces paroles ne soient du Christ. Mais d’où viennent les péchés, sinon de son corps mystique qui est l’Église ? Car ici le corps du Christ parle aussi bien que la tête. Comment parle-t-il comme parlerait un seul ? « Parce qu’il est dit qu’ils seront deux dans une même chair. Ce sacrement est grand, observe l’Apôtre ; je dis en Jésus-Christ et en l’Église ». C’est pourquoi, dans l’Évangile, répondant à un homme qui l’interrogeait sur le renvoi d’une Épouse, il a dit : « N’avez-vous point lu ce qui est écrit, « que Dieu, dès le commencement, fit un homme et une femme, et que l’homme quittera son père et sa mère pour à attacher à son Épouse, et qu’ils seront deux dans une même chair ? Ils ne sont donc plus deux, mais une seule chair[4] », Si donc il a dit : « Ils ne sont plus deux, mais une seule chair » ; comment s’étonner qu’une même chair n’ait plus qu’une même langue, une même parole, puisqu’il y a unité de chair, de chef et de corps ? Écoutons donc le Christ dans son unité, et néanmoins le chef comme chef, et le corps comme le corps. Il n’y a point division de personne, mais différence de dignité ; c’est le chef qui sauve, le corps qui est sauvé. Que le chef montre donc de la miséricorde, et que le corps déplore sa misère. Le chef doit purifier, le corps confesser les péchés, et néanmoins il n’y a qu’une seule voix, quand l’Écriture ne distingue point si c’est le corps ou la tête qui parle ; mais nous, qui l’entendons, nous faisons ce discernement ; et pour lui, il parle toujours comme parle un seul. Pourquoi ne parlerait-il pas « de ses péchés », celui qui a dit : « J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soit et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’ai été étranger, et vous ne m’avez point recueilli ; j’ai été malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité[5] ». Assurément le Seigneur n’a pas été en prison. Pourquoi ne parlerait-il pas ainsi, celui qui, à cette question : « Quand vous avons-nous vu ayant faim, ayant soif ou en prison, sans prendre soin de vous secourir[6] ? » a bien pu répondre au nom de ses membres, et dire : « Ce que vous n’avez pas fait au moindre des miens, vous ne me l’avez pas fait ? » Pourquoi ne dirait-il pas : « A la vue de mes péchés », celui qui dit à Saul : « Pourquoi me persécuter[7] », lui qui dans le ciel ne rencontrait plus de persécuteurs ? Dans ce cas, c’était la tête qui parlait pour le corps ; et de même ici c’est encore la tête qui tient le langage du corps, car c’est le corps que vous entendez. Mais, soit que vous entendiez le langage du corps, n’en séparez point le chef ; de même qu’en entendant les paroles du chef, n’en séparez pas le corps, car ils ne sont plus deux, mais bien une seule chair.
7. « Nulle partie de ma chair n’est saine à la vue de votre colère[8] ». Mais c’est peut-être à tort que Dieu est irrité, ô Adam, ô genre humain ; c’est à tort que Dieu s’est irrité contre toi ! puisque déjà tu as reconnu ta faute, et que, constitué dans le corps du Christ, tu as vie

  1. Eph. 5,30
  2. Ps. 21,2
  3. Id. 19
  4. Mt. 19,4
  5. Id. 15,42-43
  6. Id. 44
  7. Act. 9,4
  8. Ps. 34,4