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dès l’origine du monde ont le Christ pour chef. Car ils ont cru qu’il viendrait comme sous croyons qu’il est venu ; et tout comme nous, ils ont été guéris par la foi qu’ils avaient en lui : c’est ainsi qu’il est le chef de toute la cité de Jérusalem, formée de tous les fidèles depuis le commencement du monde jusqu’à la fin, en y ajoutant les légions et les armées les anges, de manière à ne composer qu’une seule cité sous un seul roi, comme une seule province soumise à un seul empereur, heureuse dans une paix, dans un salut inaltérable, bénissant Dieu sans fin dans une félicité sans fin. Or, ce corps de Jésus-Christ, ou l’Église[1], ressemble à un homme : il a été jeune, et voilà qu’à la fin des siècles il jouit d’une vieillesse heureuse, de celle dont il est dit : « Ils se multiplieront dans une vieillesse féconde[2] ». Elle lest multipliée en effet parmi les nations, et sa voix est comme celle d’un homme qui considère d’abord ses jeunes années, puis celles de son déclin ; il considère tout, parce que l’Écriture lui fait connaître tous ses âges ; et dans un transport de joie il nous donne cet avis : « J’ai été jeune », dans le premier âge du monde, « et voilà que j’ai vieilli », car j’en suis aux derniers temps « et jamais je n’ai vu le juste abandonné, non plus que sa race mendiant son pain ».
5. Nous connaissons donc cet homme, jeune autrefois, maintenant vieilli, et par l’ouverture du toit nous arrivons au Christ. Mais quel est donc ce juste que l’on n’a point vu dans l’abandon, et dont la race n’a pas mendié son pain ? Savoir quel est ce pain, c’est connaître injuste. Or, le pain est la parole de Dieu, qui ne sort jamais de la bouche du juste. C’est là ce que répondit ce juste lui-même tenté dans son chef. Quand le diable dit à Jésus-Christ qui souffrait du jeûne et de la faim : « Dis que ces pierres se changent en pain », il répondit : « L’homme ne vit pas seulement-de pain, mais de toute parole de Dieu »[3]. Or, soyez, mes frères, quand est-ce que le juste ne fait point la volonté de Dieu ? Il la fait toujours, puisqu’il conforme sa vie à cette volonté, et que cette volonté de Dieu ne sort point de son cœur, car la volonté de Dieu, c’est la loi de Dieu. Or, qu’est-il dit de lui ? « Qu’il méditera cette loi jour et nuit »[4]. Tu manges du pain matériel pendant une heure, puis c’est assez ; mais le pain de la parole, tu en manges nuit et jour. L’écouter ou la lire, c’est manger ; y penser, c’est la ruminer, afin d’être parmi les animaux purs, et non parmi les impurs[5]. C’est là ce que vous dit la sagesse par la bouche de Salomon : « Un trésor désirable demeure dans la bouche de l’homme sage ; mais l’homme insensé l’avale d’un trait[6] ». Or, avaler de manière à ne rien laisser voir de ce qu’on a avalé, c’est oublier ce que l’on a entendu. Mais l’homme qui ne l’oublie point, le rumine dans sa pensée, et trouve son plaisir à ruminer ainsi. De là cette parole : « Une sainte pensée te gardera[7]. » Si donc en ruminant ce pain, tu as pour gardienne une sainte pensée, « tu n’as jamais vu le juste délaissé, ni sa race mendiant son pain ».
6. « Chaque jour il est pris de pitié et il prête[8] ». Le mot latin fœneratur peut se dire de celui qui prête et de celui qui reçoit en prêt. Il serait plus clair pour nous de dire : Il prête, fœnerat. Que nous importe ce qu’en diront les grammairiens ? Il vaut mieux me mettre à votre portée avec un barbarisme, que d’être si disert, pour vous laisser dans le désert. Donc ce juste « est chaque jour pris de pitié, et il prête ». Mais que les prêteurs ne s’en réjouissent point. De même, en effet, qu’il y a pain et pain, nous trouvons aussi prêteur et prêteur ; afin que nous découvrions totalement le toit pour arriver à Jésus-Christ. Je ne veux point que vous soyez prêteurs ; et si je ne le veux point, c’est que Dieu lui-même ne le veut point. Car si je le défends seul, et que Dieu le permette, agissez, prêtez ; mais, si Dieu ne le veut point, j’aurai beau le vouloir, celui qui le ferait courrait à sa perte. Comment savoir que Dieu ne le veut point ? Il est dit ailleurs : Le juste « n’a point donné son argent à usure[9] ». Et tous les prêteurs, ce me semble, comprennent combien l’usure est un crime détestable, odieux, exécrable. Et pourtant, moi qui vous parle, ou plutôt Dieu que nous adorons, et qui vous défend de prêter à usure, vous ordonne ailleurs de prêter à usure ; il vous dit : Prêtez à Dieu avec usure. Tu as de l’espérance en prêtant à un homme, et tu n’en aurais pas en prêtant à Dieu ? Si tu as prêté ton argent à usure, c’est-à-dire si tu l’as confié à un homme dont tu espères retirer

  1. Col. 1,18-24
  2. Ps. 91,15
  3. Mt. 4,3-4
  4. Ps. 1,2
  5. Lev. 1
  6. Prov. 21,20
  7. Id. 2,11
  8. Ps. 36,26
  9. Ps. 14,5