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ses œuvres. Car l’impie s’amasse un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu. Mais Dieu prévoit cela, et toi tu ne le prévois point ; celui qui le prévoit te l’a révélé. Tu ignores le jour où l’impie recevra son châtiment ; mais celui qui le sait ne te l’a point caché. Ce n’est pas la moindre partie de la science, que de s’attacher à celui qui voit. Il a l’œil de la science ; à toi l’œil de la foi. Crois ce que Dieu voit ; car viendra pour l’injuste ce jour que Dieu prévoit. Quel jour ? Le jour de toute vengeance ; il faut que Dieu tire vengeance de l’homme impie, de l’homme injuste, soit qu’il se convertisse, soit qu’il ne se convertisse pas. S’il se convertit, la vengeance consiste dans la mort de son iniquité. Le Seigneur ne s’est-il pas ri de Judas qui le trahissait, de Saul qui le persécutait, en voyant le jour de ces deux hommes d’iniquité ? Il a vu pour l’un le jour du châtiment ; pour l’autre, le jour de la justification. Il s’est vengé de l’un et de l’autre, en jetant l’un aux flammes de l’enfer, en renversant l’autre par une voix céleste. Toi donc, ô mon frère, quand le méchant te fait souffrir, regarde avec Dieu, par les yeux de la foi, son jour qui arrive, et à la vue de ses fureurs contre toi, dis en toi-même : Ou bien il se corrigera pour venir avec moi, ou bien il ne sera point avec moi s’il persévère.
3. Quoi donc, son injustice te nuirait-elle sans lui nuire aucunement ? Cette iniquité dont tu es victime, et qui est l’effet de la haine et de la colère, ne l’a-t-elle pas ravagé intérieurement avant de t’atteindre au-dehors ? Ton corps est en proie à la douleur, mais son âme est dévorée par la gangrène du péché. Tout ce qu’il exhale contre toi retombe sur lui. Ses persécutions te purifient et le rendent criminel. Auquel des deux nuit-il davantage ? Il t’a dépouillé dans ses emportements ; quel est le plus grand dommage, de perdre son argent ou de perdre sa foi ? Ceux qui ont des yeux intérieurs savent déplorer ces pertes. Il en est beaucoup pour voir l’éclat de l’or et non l’éclat de la foi ; pour l’or ils ont des yeux, pour la foi ils n’en ont point. S’ils en avaient, s’ils la voyaient, ils y tiendraient davantage ; et pourtant, si l’on vient à leur manquer de foi, ils se récrient, ils se plaignent : O bonne foi, disent-ils, où est la bonne foi ? Tu l’aimes donc au point de l’exiger, aime encore à la montrer. Donc ceux qui persécutent les justes souffrent eux-mêmes un plus grand dommage, et subissent une plus grande perte, par la ruine de leur âme : c’est là ce que nous montre le psaume qui ajoute : « Les impies ont tiré leur glaive ; ils ont tendu leur arc pour renverser le pauvre et le faible, pour égorger ceux qui ont le cœur droit. Que leur glaive entre dans leur cœur »[1]. Leur framée ou leur glaive peut bien atteindre ton corps, comme le glaive des persécuteurs frappa les corps des martyrs ; mais les meurtrissures du corps laissaient le cœur intact ; or, il est loin d’être intact, le cœur de celui qui frappe de l’épée le corps d’un juste. Voilà ce qu’affirme le psalmiste. Il ne dit point que leur glaive entre dans leur corps ; mais bien : « Que leur framée entre dans leur cœur ». Ils ont voulu tuer le corps et ils ont tué leur âme. Voilà que Jésus-Christ rassure ceux dont ils vu laient tuer les corps, en leur disant : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme »[2]. Mais alors, qu’est-ce que frapper du glaive, et ne pouvoir tuer que le corps d’un ennemi, sans pouvoir tuer l’âme ? Ce sont des insensés qui se blessent eux-mêmes, et dans les accès de leur folie, lit ne savent ce qu’ils font : ils agissent connu celui qui se passe une épée à travers le corps pour aller percer la tunique d’un autre. Insensé ! tu regardes ce que tu veux atteindre, et non ce que traverse ton glaive ; tu perces le vêtement d’un autre à travers ton propre corps. Il est donc bien constant qu’il se fait plus de mal, et se nuisent plus à eux-mêmes qu’ils ne croient nuire à leurs ennemis. « Que leur glaive donc entre dans leur cœur » ; telle est la sentence du Seigneur, qu’on ne saurait changer. « Et que leur arc soit brisé ? ». Qu’est-ce à dire « que leur arc soit brisé ? » Que leurs pièges soient inutiles. Il avait dit auparavant : « Les méchants ont tiré leur glaive, ils ont bandé leur arc ». Il semble que par es glaive tiré il veuille marquer une attaque visible ; mais que l’arc bandé signifierait les embûches secrètes. Or, voilà qu’il se blesse de son glaive, et que ses pièges occultes sont trompés. Comment trompés ? ils ne nuisent point au juste. Mais quoi ! dépouiller quelqu’un, le réduire à la misère en lui prenant son bien, n’est-ce donc pas lui nuire ? Il a

  1. Ps. 36,14-15
  2. Mt. 10,28