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adresse aux hommes ce reproche, qu’aucun d’eux ne cherche son âme : « Il ne me reste« aucun moyen de fuir, et nul ne cherche mon âme »[1]. Quel est celui qui dit : « Nul ne cherche mon âme ? » Ne serait-ce point peut-être celui de qui le Prophète a dit si longtemps d’avance : « Ils ont percé de clous mes mains et mes pieds ; ils ont compté tous mes os ; ils ont pris plaisir à me regarder et à me considérer ; ils ont partagé mes vêtements et jeté le sort sur ma robe ? »[2] Tout cela se passait sous leurs yeux, et, parmi eux, personne qui cherchât son âme ! Frères, invoquons-le donc, et prions-le de dire à notre âme : « Je suis ton salut », et d’ouvrir ses oreilles pour qu’elle l’entende dire : « Je suis ton salut ». Il le dit, en effet, mais il s’en trouve qui restent sourds à sa voix ; c’est pourquoi, lorsqu’ils sont plongés dans la tribulation, ils entendent plutôt la voix des ennemis qui les poursuivent. S’il leur manque quelque chose, si l’angoisse les oppresse, si les biens temporels leur font défaut, ils ont, d’ordinaire, recours aux démons, ils veulent consulter les suppôts des démons, et vont trouver les démons ; et, ainsi, les ennemis invisibles qui poursuivaient leur âme, s’en sont approchés, y sont entrés, l’ont combattue, en sont devenus les maîtres, l’ont vaincue et ont dit : « Elle n’a point de salut à espérer de son Dieu ». Elle est restée sourde à ces paroles : « Je suis ton salut. – Dites à mon âme : Je suis ton salut, afin que ceux qui la cherchent soient couverts de confusion et de honte ». Oui, vous lui dites : « Je suis ton salut ». J’écouterai le Seigneur qui me dit : « Je suis ton salut » ; je ne chercherai mon salut que dans le Seigneur, mon Dieu. Le salut me vient du côté de la créature, mais c’est lui qui en est la source ; et quand je porte mes regards vers les montagnes d’où j’attends mon secours, ce ne sont point les montagnes qui me l’envoient, mais le Seigneur, Créateur du ciel et de la terre[3]. Dans les nécessités temporelles, Dieu se sert de l’homme pour venir à ton aide, mais lui-même est ton Sauveur. L’ange est, entre ses mains, un instrument pour te secourir, mais c’est toujours lui qui te sauve. Toutes choses dépendent de lui : pour cette vie terrestre, il vient en aide, aux uns d’ici, aux autres de là : la vie éternelle est un don qui ne vient que de lui. Lorsque tu éprouves les nécessités de la vie, tu ne possèdes pas ce que tu cherches, mais tu as près de toi celui que tu cherches cherche donc celui qui ne peut jamais te manquer. Que ses dons te soient ravis : est-ce que tu perds, en même temps, celui qui t’en a comblé ? Qu’on te rende ces preuves de sa munificence : où sera ta fortune ? Sera-t-elle dans les biens que tu auras récupérés ? Ne sera-t-elle pas)Plutôt en celui qui te les avait ravis pour t’éprouver, et qui te les a rendus pour te consoler ? Car il nous console, lorsqu’il nous accorde ces dons ; mais il nous console, comme si nous étions des voyageurs : – comprenons donc bien ce que c’est que voyager. Cette vie tout entière, et tout ce qui sert à ton usage pendant sa durée, tu dois les considérer comme le voyageur considère une hôtellerie, et non comme le propriétaire considère sa maison ; ne l’oublie pas : si tu as déjà fait du chemin, il t’en reste encore à faire ; si tu as suspendu ta marche, c’est pour prendre de nouvelles forces, et non pour t’arrêter.
7. Il y en a qui disent : Dieu, qui est bon et magnifique, qui règne au plus haut des cieux, qui est invisible, éternel et incorruptible, nous donnera la vie éternelle ; il nous communiquera cette incorruptibilité qu’il nous a promise en nous promettant la résurrection ; mais, pour les choses du temps, pour les biens de cette vie terrestre, ils sont du domaine des démons ; ils appartiennent aux puissances de ces ténèbres. Par de telles paroles, lorsqu’ils sont possédés de l’amour des choses du monde, ils en écartent Dieu, comme si elles ne le concernaient en rien ; et, par d’abominables sacrifices, par je ne sais quels moyens ou quels perfides conseils venant des hommes, ils cherchent à se procurer des avantages temporels, tels que de l’argent, une lemme, des enfants et tout ce qui peut charmer le cours de la vie humaine, ou en retarder la marche trop rapide. La divine Providence a pris soin de démontrer la fausseté de cette opinion : Dieu a voulu nous convaincre qu’il n’est pas étranger aux affaires du temps, et qu’il tient toutes choses sous sa dépendance ; d’abord les biens éternels qu’il nous a promis pour l’avenir, et aussi les biens temporels qu’il donne à qui bon lui semble et quand il le juge opportun ;

  1. Ps. 141,5
  2. Ps. 21,17-19
  3. Ps. 120,1-2