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 Et ses oreilles attentives à. tes prières ». Que veux-tu de plus ? Si le père de famille n’entendait point dans une maison nombreuse les murmures d’un serviteur, celui-ci pourrait se plaindre et dire : Quelles sont nos douleurs ! et nul ne nous entend. Mais peux-tu dire en parlant de Dieu : Quelles sont mes douleurs, et nul ne m’entend ? Mais, diras-tu, s’il m’entendait, il me délivrerait de cette affliction : je crie, et néanmoins je suis dans la douleur. Tiens ferme seulement dans tes voies, et dans ta douleur il t’écoutera. Mais il est médecin, et il reste en toi je ne sais quelle gangrène ; tu cries, mais il tranche encore ; et sa main ne s’arrêtera point qu’il n’ait fait les incisions qu’il sait nécessaires. C’est en effet une cruauté pour un médecin, d’écouter les cris d’un malade, de ménager la blessure la gangrène. Comment une mère frictionne-t-elle ses enfants dans les bains ? Les enfants ne poussent-ils point des cris entre ses mains ? Cependant elle est assez cruelle, pour ne point cesser et n’écouter point leurs larmes. Les aime-t-elle point de toute sa tendresse ? Et pourtant ces enfants poussent des cris, et les mères ne les épargnent point. Ainsi en est-il de Dieu qui est plein de tendresse pour nous : et s’il paraît ne point nous écouter, c’est afin de nous guérir, et de nous épargner dans l’éternité.
21. « Les yeux du Seigneur sont sur les justes, et ses oreilles sont attentives à leurs prières », Mais, pourra dire le méchant, je tais donc le mal en toute sécurité, puisque les yeux du Seigneur ne sont pas sur moi : si Dieu ne regarde que les justes, il ne me voit point ; et je suis en sûreté dans toutes mes actions. Or, l’Esprit-Saint, voyant ces pensées hommes, ajoute aussitôt : « Les yeux du Seigneur sont sur les justes, et ses oreilles attentives à leurs prières : mais le regard de sa colère est sur ceux qui font le mal, afin d’effacer leur mémoire de la terre »[1].
22. « Les justes ont crié, et le Seigneur les a exaucés et les a délivrés de tous leurs maux »[2]. Les trois enfants de la fournaise étaient justes : et ils crièrent vers le Seigneur, et à leurs chants les flammes devinrent une douce rosée. Ces flammes ne purent approcher ni meurtrir ces trois enfants, justes et innocents, et le Seigneur arracha aux flammes[3]. Mais, dira quelqu’un, à la vérité, voilà trois justes qui ont été exaucés, selon cette parole : « Les justes ont crié, et le Seigneur les a exaucés et les a délivrés de leurs tribulations » ; mais moi j’ai crié, et il ne m’a point délivré : donc ou bien je ne suis pas juste, ou je ne fais point ce que Dieu ordonne, ou peut-être que Dieu ne me voit point. Sois sans crainte, et fais ce que Dieu ordonne ; et s’il ne te délivre point d’une manière corporelle, il délivrera ton âme. Lui qui délivra les trois enfants des flammes, en délivra-t-il les Macchabées ? Si les uns chantaient au milieu des flammes, les autres n’y expiraient-ils pas[4] ? Le Dieu des trois enfants n’était-il pas le Dieu des Macchabées ? Il a délivré les uns sans délivrer les autres ; au contraire, il les a tous délivrés ; il a délivré les trois enfants, afin de confondre les hommes charnels ; il n’a pas délivré les Macchabées de la même manière, afin que leurs persécuteurs fussent plus sévèrement condamnés, parce qu’ils avaient cru opprimer les martyrs de Dieu. Il délivra Pierre quand l’Ange vint trouver cet Apôtre dans les chaînes et lui dit : « Lève-toi, et va-t’en » : et alors ses chaînes furent déliées, et il suivit l’ange qui le délivra[5]. Pierre avait-il cessé d’être juste, quand le Seigneur ne le délivra point de la croix ? Mais ne le délivra-t-il pas alors ? Il le délivra certainement. N’a-t-il vécu plus longtemps que pour devenir injuste ? Dieu en ce moment le délivra, plus qu’auparavant, puisqu’il l’arracha véritablement à toutes les misères. Après que Dieu l’eût délivré une première fois, combien cet Apôtre n’eût-il pas à souffrir dans la suite ? au lieu que Dieu le fit passer de la croix à ce lieu où l’on ne doit plus souffrir.
23. « Le Seigneur est près de ceux qui ont le cœur brisé, et il doit sauver les hommes humbles d’esprit »[6]. Dieu est élevé ; que le chrétien s’abaisse, qu’il pratique l’humilité s’il veut que Dieu s’approche de lui. Ce sont là de grands mystères, mes frères. Dieu est au-dessus de tous ; élève-toi, tu ne l’atteindras point ; humilie-toi, et il descendra jusqu’à ton niveau. « De grandes tribulations sont réservées aux justes ». Dieu nous dit-il : Que les chrétiens soient justes, qu’ils écoutent ma parole, afin de n’avoir aucune affliction à souffrir ? Telles ne sont point ses promesses ; mais il dit : « De grandes tribulations sont réservées aux justes ». Donc, s’ils ne sont point justes, ils

  1. Ps. 33,16-17
  2. Id. 18
  3. Dan. 3,49
  4. 2 Mac. 6,3
  5. Act. 12,7
  6. Ps. 33,19