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n’était pas en son cœur. Il pensait le contraire et a dit la vérité à son insu. C’est donc peu que la vérité soit dans notre bouche, si elle n’est aussi dans notre cœur. « Dont la langue n’a point menti ». La langue est menteuse, quand il y a désaccord entre la parole extérieure et la pensée qui se cache dans notre cœur. « Qui n’a fait aucun mal à son prochain ». Ce mot de prochain, on le sait, doit s’étendre à tous les hommes. « Qui n’adopte point l’injure que l’on fait à ses frères[1] », c’est-à-dire, qui ne croit ni volontiers, ni témérairement aux paroles accusatrices.
4. « Celui dont la présence anéantit le méchant[2] ». La perfection pour l’homme c’est que le méchant n’ait aucune prise sur lui, et qu’il ne soit rien à ses yeux, c’est-à-dire que cet homme sache bien qu’il n’y a point de méchant, à moins que l’âme ne se détourne de l’éternelle et immuable beauté du Créateur, pour s’attacher à cette beauté d’une créature tirée du néant. « Mais il honore ceux qui craignent le Seigneur », comme le Seigneur le fait lui-même ; car la sagesse commence par la crainte du Seigneur[3] ». Ce qui précède regarde les parfaits, et maintenant ce qui va suivre est pour ceux qui commencent.
5. « Celui qui s’engage par serment envers le prochain, mais sans le tromper ; qui ne donne point son argent à usure, et ne reçoit e point de présents contre l’innocent[4] ». Ce ne sont point là de grandes vertus ; mais celui qui ne peut les pratiquer pourra bien moins encore parler selon la vérité qu’il connaît en son cœur, sans employer sa langue à la fourberie, disant toujours au-dehors ce qu’il croit être vrai, ayant dans la bouche : Oui, oui ; non, non[5]. Il pourra moins encore ne pas nuire à son prochain, c’est-à-dire à qui que ce soit, ne point écouter l’injure contre ses frères : ces œuvres sont de l’homme parfait, dont la présence anéantit les pervers. Bien que ces vertus soient moins élevées, le Prophète ne laisse pas de conclure ainsi : « Quiconque fait ces œuvres, ne doit point déchoir dans l’éternité » ; c’est-à-dire qu’il arrivera aux œuvres plus parfaites, qui nous valent cette grande et inébranlable stabilité. Car ce n’est probablement pas sans raison que le Prophète a passé d’un temps à un autre, que la première conclusion est au passé, tandis que celle-ci est au futur. Dans la première, il disait : « Le méchant s’est anéanti en sa présence » ; et ici : « il demeurera ferme éternellement ».

PSAUME 14 bis

DISCOURS SUR LE PSAUME 14[6]

L’HOMME DU CIEL.

Le chiffre du psaume est quatorze et nous rappelle que l’Agneau fut immolé au quatorzième jour, quand la lune est dans son plein. Or, habiter les tabernacles du Seigneur, c’est demeurer dans l’Église, qui n’est point une demeure permanente, et cette montagne où l’on doit se reposer c’est le ciel. Or, celui-là s’y reposera « qui marche dans l’innocence », c’est-à-dire qui est encore en chemin, et qui est déjà innocent, « qui pratique la justice » en faisant du bien aux autres, « qui parle selon la vérité, qui ne fait aucun mal au prochain », c’est-à-dire aux autres hommes. Un tel saint méprise le méchant fût-il haut placé dans le monde.


1. On vient de lire fort à propos le psaume quatorzième ; bien qu’il vienne à son tour, on le dirait choisi tout exprès. Le lecteur l’a pris dans l’ordre des psaumes, et néanmoins j’y vois la sagesse de Dieu, qui a mis dans l’ordre de nos explications ce qui devait vous être utile. Ce psaume est le quatorzième, qui a pour titre : « Psaume de David »[7]. Or, David c’est pour nous le Christ, nous l’avons dit souvent. Et puis, nous avons lu dans l’Exode que l’Agneau doit être immolé le quatorzième jour[8] ; oui, ce quatorzième jour, quand la lune est dans son plein, quand il ne lui manque rien de sa splendeur ; d’où vous pouvez voir que le Christ ne saurait être immolé qu’en pleine et parfaite lumière. Comme donc l’Agneau doit être immolé au quatorzième jour, voilà que le Prophète saisi d’admiration s’écrie :
2. « Seigneur, qui habitera dans votre tabernacle ? » O vous qui voulez habiter dans le tabernacle, du Seigneur, écoutez

  1. Ps. 14,3
  2. Id. 4
  3. Sir. 1,16
  4. Ps. 14,4-5
  5. Mt. 5,37
  6. Dans plusieurs manuscrits, ce discours précède le discours reproduit dans le tome 8 sur le psaume 14. D’autres manuscrits attribuent ce fragment à saint Jérôme.
  7. Ps. 14,1
  8. Exod. 12,5-6