en elle le sanctuaire qu’il bâtissait, il contemplait son œuvre ; en elle il habitait son temple ; il était donc en elle et c’est lui qui répondait aux séducteurs. C’en eût été fait de la chasteté de Susanne, si elle eût été abandonnée par celui à qui elle en était redevable. Elle dit donc : « De tous côtés je rencontre des périls », mais aussi attendait-elle le secours divin pour se préserver de la lâcheté, et pour échapper à la tempête que suscitaient contre elle les faux témoins, comme des vents destructeurs. Toutefois malgré le courroux des vents et des flots, sa chasteté ne fit pas naufrage ; c’est que le Seigneur tenait le gouvernail. Elle poussa un cri, on accourut, on s’empressa ; sa cause fut portée devant le tribunal.
La famille de Susanne avait ajouté foi à la déposition des faux témoins contre elle. Sans doute la pureté sans tache de la vie qu’elle avait menée jusqu’alors semblait être une garantie suffisante de sa pudeur ; toutefois n’y aurait-il pas de l’irréligion à n’ajouter pas foi à ces vieillards ? Jamais rien de pareil n’avait été dit de Susanne. Ces hommes étaient donc de faux témoins ? Dieu seul le savait. La famille de Susanne croyait une chose, le Seigneur en voyait une autre ; et parce que les hommes ignoraient ce que voyait le Seigneur, il leur paraissait juste de croire ce qu’affirmaient les deux vieillards. Ainsi Susanne allait mourir ; mais si son corps allait subir la mort, sa chasteté allait recevoir la couronne. Le Seigneur écouta sa prière, il exauça cette âme qu’il voyait, et après l’avoir aidée à ne devenir pas adultère, il ne la laissa pas mourir. Il éveilla l’esprit d’un saint jeune homme, de Daniel ; d’un âge tendre encore la piété faisait de lui un homme fort. L’esprit de prophétie dont il était animé lui montra aussitôt la calomnie des abominables vieillards. Mais il devait chercher le moyen de montrer aux autres ce que lui-même voyait clairement. « Ce sont de faux témoins , s’écria-t-il, retournez au jugement ». Si la lumière de l’esprit prophétique lui avait montré qu’ils étaient de faux témoins, il devait le prouver aux autres, qui l’ignoraient, et pour le prouver à ces juges, il était sûrement obligé de convaincre les faux témoins. Persuadé donc de la fausseté de leurs dépositions et résolu de la faire paraître au grand jour, il les fit séparer l’un de l’autre. Il les questionna ensuite séparément : si une même passion avait pu les enflammer, ils n’avaient pu se concerter sur un même moyen de défense. Il demanda à l’un d’eux sous quel arbre ils avaient surpris les coupables. « Sous un lentisque », répondit-il. À l’autre il adressa la même question. « Sous une yeuse », reprit ce dernier. Ce désaccord dans les témoignages mit à nu la vérité et sauva la chasteté[1].
2. D’ailleurs, mes frères, comme je l’ai déjà dit, lors même qu’à la suite de ce jugement Susanne aurait subi dans son corps une mort à laquelle il lui était du reste impossible d’échapper, sa chasteté n’en eût pas moins été sauvée et couronnée. Tous en effet nous devons mourir, et tout ce qu’on peut faire, en cherchant à échapper au trépas, n’est point d’éviter la mort qu’on est obligé de subir, mais de la retarder. Tous, nous devons payer, nous paierons tous la dette contractée en Adam ; et quand nous refusons de mourir, loin de croire que nous serons exemptés de la mort, nous demandons simplement que pour nous la mort soit différée. Toute religieuse et toute chaste épouse qu’elle fût, Susanne aussi devait donc mourir. Et quand alors même elle eût payé cette dette, en quoi sa pudeur en aurait-elle souffert, puisque son corps eût été enfermé dans le tombeau, et que sa chasteté lût retournée vers Dieu pour recevoir de lui la couronne ? Croyez-vous, mes frères, qu’il y ait tant de gloire à n’être pas accablé par de faux témoins quand on est innocent ? Non, il n’y a pas grand mérite, quand on est innocent, à n’être pas écrasé par le faux témoignage. Il y aurait grand mérite peut-être, si le taux témoignage n’avait point prévalu contre le Seigneur. Mais c’est la langue des faux témoins qui a servi à faire crucifier Notre-Seigneur. Jésus-Christ. Or, tout en l’emportant un moment, comment ces faux témoins ont-ils nui au Sauveur, puisqu’il devait ressusciter ? Ainsi en venant parmi nous avec sa chair, avec sa faiblesse, avec sa nature d’esclave empruntée par lui pour délivrer les esclaves, pour courir après les fugitifs, pour racheter les captifs, pour décharger de chaînes les prisonniers et pour faire des esclaves autant de frères, le Seigneur notre Dieu a montré à ses serviteurs, par son exemple, à n’avoir pas horreur des faux témoins, à ne craindre pas même lorsqu’on les croit. Ils peuvent bien corrompre la réputa-
- ↑ Dan. 13