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ces amis du Christ il n’y a plus de silence, mais les paroles du silence, ou la raison de ce mystère du Christ que Dieu leur a donné de pénétrer et de connaître. Ce silence, ou Chusi, est appelé fils de Gémini ou de la droite. Car il ne fallait pas dérober aux saints ce qu’il a fait pour eux, et pourtant « notre gauche », est-il dit, « ne doit point savoir ce que fait notre droite[1] ». L’âme parfaite, qui a compris ce secret, chante alors cette prophétie : « Pour les paroles de Chusi », ou pour la découverte de ce mystère, que Dieu, qui est la droite, lui a fait connaître par une faveur spéciale : de là vient que ce silence est appelé fils de la droite, ou Chusi, fils de Gémini.

2. « Seigneur, mon Dieu, mon espoir est en vous, sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrez-moi[2] ». Toute guerre, toute hostilité contre les vices est surmontée, et l’âme parfaite n’ayant plus à combattre que la jalousie du démon, s’écrie : « Sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrez-moi, de peur que comme un lion, il ne ravisse mon âme[3] ». Car saint Pierre nous dit que « le démon notre ennemi, rôde autour de nous, comme un lion rugissant, cherchant quelqu’un à dévorer[4] ». Aussi le Prophète, après avoir dit au pluriel ! « Sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent », reprend ensuite le singulier, en disant : « De peur qu’il ne ravisse mon âme, comme un lion », non pas : « Qu’ils ne ravissent », car il n’ignore pas l’ennemi qui reste à vaincre, le redoutable adversaire de toute âme parfaite. Et que je ne trouve ni rédempteur, ni sauveur » ; c’est-à-dire, de peur qu’il ne ravisse mon âme, tandis que vous ne la rachetez et ne la sauvez point ; puisqu’il nous ravit, si Dieu ne nous rachète et nous sauve.

3. Ce qui nous montre que ce langage est celui de l’âme parfaite, qui n’a plus à redouter que les pièges si artificieux du démon, c’est le verset suivant : « Seigneur mon Dieu, si j’ai fait cela[5] ». Qu’est-ce à dire : « Cela ? » S’il ne nomme aucun péché, les voudrait-il désigner tous ? Si nous rejetons une telle interprétation, rattachons alors cette expression à ce qui suit ; et comme si nous demandions au Prophète ce qu’il entend par « cela, istud », il nous répondra : « Si l’iniquité est dans mes mains ». Mais il nous montre qu’il entend parler de tout péché, puisqu’il dit : « Si j’ai rendu le mal pour le mal[6] », parole qui n’est vraie que dans la bouche des parfaits. Le Seigneur nous dit en effet : « Soyez parfaits, comme votre Père du ciel, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, qui donne la pluie aux justes et aux criminels[7] ». Celui-là donc est parfait qui ne rend pas le mal pour le mal. L’âme parfaite prie donc « pour les paroles de Chusi, fils de Gémini », ou pour la connaissance de ce profond secret, de ce silence que garda Jésus-Christ pour nous sauver, dans sa bonté miséricordieuse, en souffrant avec tant de patience les perfidies de celui qui le trahissait. Comme si le Sauveur lui découvrait les raisons de ce silence et lui disait : « Pour toi, qui étais impie et pécheur, et pour laver dans mon sang tes iniquités, j’ai mis le plus grand silence, et une longanimité invincible à souffrir près de moi un traître ; n’apprendras-tu pas, à mon exemple, à ne point rendre le mal pour le mal ? » Cette âme, considérant et comprenant ce que le Sauveur a fait pour elle, et s’animant par son exemple à marcher vers la perfection, dit à Dieu : « Si j’ai rendu le mal pour le mal », si je n’ai point suivi dans mes actes vos saintes leçons, « que je tombe sans gloire sous les efforts de mes ennemis ». Il a raison de ne pas dire : « Si j’ai tiré vengeance du mal qu’ils me faisaient », mais bien, « qu’ils me rendaient », puisqu’on ne peut rendre que quand on a reçu quelque chose. Or, il y a plus de patience à épargner celui qui nous rend le mal pour les bienfaits qu’il a reçus de nous, que s’il voulait nous nuire, sans nous être aucunement redevable. « Si donc j’ai tiré vengeance du mal qu’ils me rendaient » ; c’est-à-dire, si je ne vous ai point imité dans ce silence, ou plutôt dans cette patience dont vous avez usé à mon égard, que je tombe sans gloire sous les efforts de mes ennemis ». Il y a une vaine jactance chez l’homme qui, tout homme qu’il est, veut se venger d’un autre. Il cherche à vaincre un adversaire, et lui-même est à l’intérieur vaincu par le démon ; la joie qu’il ressent d’avoir été comme invincible, lui enlève tout mérite. Le Prophète sait donc bien ce qui rend la victoire plus glorieuse, et ce que nous rendra notre Père qui voit dans le secret[8]. Pour ne pas tirer vengeance de ceux

  1. Mat. 6,3
  2. Psa. 7,2
  3. Id. 3
  4. 1Pi. 5,8
  5. Psa. 7,4
  6. Psa. 7,5
  7. Mat. 5,45-48
  8. Id. 6,6