le Prophète comprend qu’il ne voit point ce qu’il désire, bien qu’il ne cesse pas d’espérer : car « l’espérance qui verrait ne serait pas une espérance[1] ». Il sait bien que s’il ne voit pas, c’est parce que cette nuit ténébreuse qui est le châtiment du péché, n’est point encore achevée. Il dit donc : « Parce que c’est vous que j’invoquerai, Seigneur ». C’est-à-dire, telle est votre grandeur, ô vous que j’invoquerai, « qu’au matin seulement, vous exaucerez ma prière ». Vous n’êtes point un Dieu que puissent voir les hommes dont les yeux sont obscurcis par la nuit du péché ; mais lorsque cette nuit de mes erreurs s’achèvera, et que les ténèbres dont m’enveloppaient mes fautes seront dissipées, vous écouterez ma voix. Pourquoi donc n’a-t-il pas dit plus haut : Vous écouterez ; mais : « Écoutez ? » Serait-ce que n’ayant pas été exaucé après avoir dit : « Exaucez-moi », il a compris ce qui devait s’écouler afin qu’il pût être exaucé ? ou bien aurait-il été d’abord exaucé, mais sans comprendre qu’il l’était, parce qu’il ne voit point celui qui l’exauce ; et alors cette expression : « Au matin vous m’exaucerez », signifierait : Au matin, je comprendrai que vous m’exaucez ? comme il est dit ailleurs : « Levez-vous, Seigneur[2] », pour : Accordez-moi de me relever. Il est vrai que cette parole s’applique à la résurrection de Jésus-Christ ; mais voici un autre passage qui ne peut s’entendre que dans notre sens : « Le Seigneur votre Dieu vous tente, afin que vous sachiez si vous l’aimez[3] », c’est-à-dire, afin que, par lui, vous compreniez et qu’il vous soit bien démontré quel progrès vous avez fait dans son amour.
5. « Au matin, je serai debout, et je verrai[4] ». Qu’est-ce à dire : « Je serai debout », sinon, je ne serai point étendu sur la terre ? Mais être couché sur la terre c’est y reposer, c’est chercher son bonheur dans les terrestres voluptés. « Je serai debout, et je verrai », dit le Prophète. Abjurons donc les choses d’ici-bas, si nous voulons voir Dieu qui se montre aux cœurs purs. « Vous n’êtes pas un Dieu qui aimez l’iniquité ; aussi le méchant n’habitera point près de vous, et les impies ne soutiendront pas l’éclat de vos regards. Vous haïssez ceux qui commettent l’iniquité, vous perdrez ceux qui profèrent le mensonge. Vous avez en horreur l’homme fourbe et l’homme de sang[5] ». L’iniquité, la malice, le mensonge, l’homicide, la fraude, et autres crimes semblables, telle est la nuit qui doit passer, et alors viendra ce matin qui nous découvrira le Seigneur. Le Prophète nous dit pourquoi il sera debout au matin, et verra le Seigneur. « C’est que vous, ô Dieu, vous n’aimez pas l’iniquité ». Si Dieu, en effet, aimait l’iniquité, il pourrait être vu par l’impie, et il ne faudrait pas attendre le matin, quand sera écoulée la nuit des iniquités.
6. « Près de vous n’habitera point le méchant », il ne vous verra point de manière à s’attacher à vous ; de là le verset suivant « Et l’injuste ne soutiendra point vos regards », car son œil, ou plutôt son esprit, accoutumé aux ténèbres du péché, sera frappé soudainement de la lumière de la vérité, et ne soutiendra point l’éclat d’une intelligence droite. Si donc il voit par intervalles, et tout en demeurant dans l’injustice, s’il comprend la vérité, il ne s’affermit point en elle, puisqu’il aime ce qui l’en éloigne. Il porte en lui-même sa nuit, qui est l’habitude et même l’amour du péché. Que cette nuit vienne à s’écouler, qu’il brise avec le péché, qu’il en perde l’amour et l’habitude, alors viendra le matin, et il comprendra la vérité jusqu’à s’y attacher avec amour.
7. « Vous haïssez les artisans d’iniquité ». Cette haine de Dieu a le même sens que l’aversion de tout pécheur pour la vérité ; et l’on dirait que celle-ci à son tour déteste ceux qu’elle ne laisse point demeurer en elle ; tandis que s’ils n’y demeurent point, c’est qu’ils ne la peuvent supporter. « Vous perdrez ceux qui profèrent le mensonge », car il est contraire à la vérité. Mais qu’on ne s’imagine point qu’il y ait quelque substance ou quelque nature contraire à la vérité ; comprenons plutôt que le mensonge tient à ce qui n’est pas, et non à ce qui est. Dire ce qui est, c’est dire la vérité, et dire ce qui n’est pas, c’est le mensonge. Aussi est-il dit : « Vous perdrez tous ceux qui profèrent le mensonge », puisqu’en se détournant de ce qui subsiste, ils s’en vont à ce qui n’est pas. Souvent le mensonge paraît avoir pour but le salut ou l’avantage d’un autre, et provenir non de la malice, mais de la bienveillance ; tel fut, dans l’Exode[6], celui de ces sages-femmes, qui mentirent à Pharaon pour sauver la vie aux enfants des Hébreux.