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vous comme une perte, comme un dommage, comme du fumier, relativement à l’acquisition que vous voulez faire du Christ : ne s’ensuit-il pas que cette justice détournait du Christ ? Je vous en prie, daignez vous expliquer un peu. Ou plutôt demandons à Dieu de nous éclairer ; car c’est lui qui a éclairé l’auteur de cette épître, écrite, non pas avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant. Vous voyez bien, mes très-chers, qu’il y a ici une difficulté fort ardue et malaisée à comprendre. D’un côté la loi est sûrement sainte, et le commandement saint, juste et bon ; pour les catholiques il est certain encore, et on ne peut le nier qu’en cherchant à sortir de l’Église, que cette loi ancienne n’a été donnée que par le Seigneur notre Dieu. D’un autre côté cependant la vie irréprochable et conforme à cette justice légale a détourné l’Apôtre du Christ, et il ne s’est attaché à lui qu’en regardant comme une perte, comme un dommage, comme du fumier, son irrépréhensible fidélité à la justice ordonnée par la loi. Voilà la difficulté. Continuons à lire, faisons un pas en avant, peut-être trouverons-nous dans les propres paroles de saint Paul, un trait de lumière qui dissipera ces ombres. « J’ai regardé tout cela, « dit-il, comme une perte, et comme du fumier, afin de gagner le Christ ». Soyez attentifs, je vous prie. Je regarde tous ces avantages, et parmi eux je compte la fidélité inviolable de ma vie à la justice légale, comme perte, comme dommage, comme fumier véritable. Oui, j’estime tout cela à l’égal d’une perte, à l’égal du fumier, « afin de gagner le Christ et d’être trouvé, en lui, possédant, non ma propre justice qui vient de la loi ». Vous qui comprenez avant que j’aie expliqué, figurez-vous que vous ressemblez à des voyageurs plus rapides qui sont en route avec des voyageurs au pas plus lent. Ralentissez tant soit peu votre marche, pour ne laisser pas vos compagnons en arrière. « Pour gagner le Christ, dit donc l’Apôtre, et pour être trouvé possédant en lui, non ma propre justice, qui vient de la loi ». Si c’est la sienne, pourquoi dire qu’elle vient de la loi ? Si elle vient de la loi, comment vient-elle de vous ? Est-ce vous qui vous seriez donné la loi ? Mais c’est Dieu qui l’a donnée, c’est Dieu qui l’a imposée, c’est Dieu qui a commandé de l’observer. Si cette loi ne t’apprenait pas à vivre, comment te dirais-tu irréprochable au point de vue de la justice qu’elle prescrit ? Et si c’est d’elle que te vient cette justice, comment affirmes-tu que tu possèdes, « non ta propre justice qui vient de la loi, mais celle qui vient de Dieu par la foi au Christ ? »

8. Je résoudrai cette question le mieux que je pourrai : daigne Celui qui habite en vous y jeter plus de lumière, nous donner la grâce de voir et d’aimer la vérité ; car s’il nous donne de l’aimer, il nous donnera par là même la grâce de la pratiquer. – Voici donc quelle est ma pensée. Dieu a donné sa loi, je parle de la loi qui dit : « Tu ne convoiteras point[1] », et non de ces observances charnelles qui sont des ombres de l’avenir. Or, Dieu ayant donné cette loi ; si un homme craint, s’il croit pouvoir l’accomplir avec ses propres forces, s’il fait réellement ce qu’elle prescrit, non par amour de la justice, mais par peur du châtiment, cet homme est sans reproche au point de vue de la justice légale, car il ne dérobe ni ne commet d’adultère, il ne fait ni faux témoignage ni homicide, il ne convoite même pas le bien de son prochain ; va-t-il toutefois jusque-là ? Le peut-il ? S’il le fait, c’est par crainte du châtiment. Mais s’abstenir de convoiter uniquement par crainte du châtiment, n’est-ce pas convoiter ? En présence d’un appareil formidable d’armes défensives et offensives, en face d’une multitude qui le cerne ou qui court à sa rencontre, un lion même cesse de poursuivre sa proie : en est-il moins lion ? Il a laissé sa proie, mais non sa fureur. Lui ressembles-tu ? Tu pratiques sans doute la justice, et c’est elle qui te dit de te dérober aux tourments. Mais est-il étonnant qu’on redoute les supplices ? Qui ne les redoute pas ? Quel voleur, quel sicaire, quel scélérat n’en a peur ? La différence qui distingue ta peur de la peur du larron, c’est que tout en craignant les lois humaines, celui-ci ne s’abstient pas d’être homicide, parce qu’il compte échapper à la vigilance de ces lois ; tandis que les lois et les peines que tu redoutes sont celles d’une puissance que tu ne saurais tromper ; que ne ferais-tu point si tu le pouvais ? Ainsi tes convoitises coupables ne sont pas éteintes par l’amour, mais comprimées par la crainte. C’est le loup qui se lance sur un bercail et que forcent à s’éloigner l’aboiement des chiens et le

  1. Exo. 20, 16