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qu’est-ce à dire ? Que c’est en haut qu’il faut espérer, en haut qu’il faut aimer, là qu’il faut demander la vertu et attendre la récompense. En faisant le bien et en donnant avec joie, tu sembleras avoir la charité dans sa largeur ; tu sembleras l’avoir dans sa longueur, en persévérant jusqu’à la fin dans tes bonnes œuvres ; mais si tu ne fais pas tout cela en vue de la récompense céleste, tu n’en auras pas la hauteur ; plus dès lors de largeur ni de longueur. Qu’est-ce en effet qu’être à la hauteur de la charité, sinon penser à Dieu, aimer Dieu, et l’aimer sans intérêt, lui qui pourtant nous soutient, veille sur nous, nous couronne et nous récompense ; sinon enfin le considérer comme récompense et n’attendre de lui que lui-même ? Si donc tu aimes, aime sans intérêt ; si tu aimes réellement, prends comme récompense l’objet de ton amour. Aimerais-tu tout pour dédaigner Celui qui a tout fait ?

5. C’est afin de nous rendre capables d’aimer ainsi, c’est afin de nous en obtenir la grâce que l’Apôtre fléchit pour nous les genoux. L’Évangile, hélas ! ne vient-il pas lui-même nous glacer d’effroi ? Pour vous, dit-il, il vous a été donné de connaître le mystère du royaume ; mais pour eux, il ne leur a pas été donné ; car à celui qui a, il sera donné encore ». Mais quel est celui qui a et à qui on donnera encore, sinon celui qui a reçu déjà ? « Quant à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera ôté[1] ». Or, quel est celui qui n’a pas, sinon celui qui n’a pas reçu ? Pourquoi maintenant avoir donné à l’un et pas à l’autre ? Je n’hésite pas de le dire : c’est la profondeur de la croix. De cette profondeur mystérieuse des desseins de Dieu, que nous ne saurions ni sonder ni contempler, vient tout ce que nous sommes capables de faire. Oui, de cette profondeur mystérieuse des conseils divins, que nous ne pouvons contempler parce que nous ne pouvons la sonder, procède tout ce dont nous sommes capables. Je vois bien ce que je puis, je ne vois pas pourquoi je le puis ; je sais seulement que toute ma puissance vient de – Dieu. Mais pourquoi Dieu donne-t-il cette puissance à celui-ci et pas à celui-là ? Voilà ce qui me surpasse ; c’est un abîme, c’est la profondeur de la croix, c’est ce qui excite en moi des cris d’étonnement, c’est sur quoi je ne puis raisonner juste. Et que puis-je dire en face d’une telle profondeur ? « Que vos œuvres sont admirables, Seigneur ! » Les gentils sont éclairés, les Juifs tombent dans les ténèbres ; des enfants sont purifiés dans les eaux du baptême, d’autres enfants sont laissés dans l’état de mort du premier homme. « Que vos œuvres sont admirables, Seigneur ! Vos desseins sont d’une profondeur inaccessible ». Le Prophète ajoute : « L’imprudent n’en a point l’idée, et l’insensé ne les comprend pas[2] ». Que ne comprennent ni l’imprudent ni l’insensé ? Qu’il y a ici une grande profondeur. Elle n’y serait pas, si le sage et non l’insensé comprenait. Ce que le sage comprend ici, c’est qu’il y à une profondeur impénétrable, et c’est aussi ce que ne comprend pas l’insensé.

6. Aussi plusieurs, pour rendre compte de, ce profond mystère, se sont égarés dans des fables ridicules. Selon les uns, les âmes pèchent dans le ciel, puis elles sont envoyées dans des corps, et y sont en quelque sorte emprisonnées, conformément à leurs mérites. Quelles vaines imaginations ! Ces hommes sont tombés dans l’abîme en voulant discuter sur les profondeurs divines. En face d’eux se présente l’Apôtre ; il prêche la grâce, et citant les deux enfants que Rébecca portait dans son sein : « Ils n’étaient pas encore nés, dit-il, et n’avaient fait ni bien ni mal[3] ». Vois comment l’Apôtre fait évanouir le vain fantôme d’une vie antérieure au corps, et passée dans le ciel. Si en effet les âmes y ont vécu, elles y ont fait du bien ou du mal, et c’est conformément à leurs mérites qu’elles ont été liées à des corps de terre. Oserions-nous contredire ces mots de l’Apôtre : « Ils n’étaient pas encore nés, et n’avaient fait ni bien ni mal ? » Ces expressions sont troll claires, et la foi catholique rejette l’idée que les âmes vivent d’abord dans le ciel et y méritent, par leur conduite, les corps auxquels elles seront unies ; aussi nos petits novateurs n’osent soutenir ce sentiment.

7. Que disent-ils donc ? Voici, nous a-t-on appris, comment raisonnent quelques-uns d’entre eux. Si les hommes meurent, disent-ils, c’est sûrement parce qu’ils l’ont mérité par leurs péchés, puisque sans le péché on ne mourrait pas. Rien de mieux ; il est bien sûr que sans le péché on ne mourrait pas. Mais je n’applaudis à cette pensée qu’en considérant

  1. Mat. 13, 11-12
  2. Psa. 91, 6-7
  3. Rom. 9, 11