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« Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » Il nous a prédestinés, avant notre existence ; il nous a appelés, quand nous étions loin de lui ; justifiés, quand nous étions pécheurs ; glorifiés, quand nous étions mortels. « Si Dieu est pour nous, qui sera contre-nous ? » Pour essayer de nuire à ceux que Dieu a prédestinés, appelés, justifiés et glorifiés, il faudrait se disposer à lutter d’abord, si on le peut, contre Dieu même. Dès qu’on nous dit : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » n’est-il pas vrai qu’on ne peut nous atteindre sans triompher de Dieu ? Mais qui triomphe du Tout-Puissant ? Chercher à lui résister, c’est se meurtrir ; et c’est ce que le Christ criait du haut du ciel à l’Apôtre qui portait encore alors le nom de Saul : « Tu ne gagnes rien, lui disait-il, à regimber contre l’aiguillon[1] ». Qu’on frappe, qu’on frappe autant qu’on peut ; frapper contre l’aiguillon, n’est-ce pas se frapper soi-même ?

2. En examinant ces quatre caractères que l’Apôtre a mis en relief et qui distinguent les favoris de Dieu, savoir la prédestination, la vocation, la justification et la glorification, remarquons ceux que nous possédons déjà et ceux que nous attendons encore. En voyant ce que nous avons, nous louerons Dieu qui nous l’a donné ; et en constatant ce qui nous manque, soyons sûrs que Dieu nous en est redevable. Il nous le doit, non pour avoir reçu de nous, mais pour nous avoir promis ce qu’il lui a plu. Nous pouvons dire à un homme : Tu me dois, car je t’ai donné ; mais à Dieu : Vous me devez, car vous m’avez promis. Quand on peut dire : Tu me dois, parce que je t’ai donné, c’est qu’on a remis pour échanger plutôt que pour donner. Mais quand on dit : Vous me devez, parce que vous m’avez promis, on n’a rien confié et pourtant on exige ; on exige parce que la bonté qui a promis donnera fidèlement, sans quoi elle ne serait plus bonté, mais plutôt méchanceté, attendu que pour tromper il faut être méchant. Or, disons-nous à Dieu : Rendez-moi, car je vous ai donné ? Eh ! que lui avons-nous donné, puisque c’est de lui que nous tenons tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons de bon ? Non, nous ne lui avons rien donné ; et nous ne pouvons à ce titre réclamer ce qu’il nous doit. L’Apôtre d’ailleurs ne dit-il pas avec beaucoup de raison : « Quia connu la pensée du Seigneur ? ou qui a été son conseiller ? ou qui le premier lui a donné et sera rétribué[2] ? » Voici donc comment nous pouvons poursuivre le Seigneur notre Dieu ; il faut lui dire : Accordez-nous ce que vous avez promis, car nous avons fait ce que vous avez prescrit ; et encore est-ce vous qui l’avez fait en nous, puisque vous nous avez aidés à le faire.

3. Que personne donc ne dise : Dieu m’a appelé, parce que je l’ai servi. Comment l’aurais-tu servi, s’il ne t’avait appelé ? S’il t’avait appelé pour avoir été servi par toi, il t’aurait donc rendu pour avoir reçu de toi le premier. Mais l’Apôtre n’interdit-il pas ce langage quand il s’écrie : « Qui lui a donné le premier et sera rétribué ? » Au moins tu existais déjà quand il t’a appelé ; mais aurait-il pu te prédestiner, si déjà tu avais l’être ? Qu’as-tu donné à Dieu, puisque, pour donner, tu n’existais même pas ? Et qu’a fait Dieu en te prédestinant avant ton existence ? Ce que dit l’Apôtre : « Il appelle ce qui n’est pas comme ce qui est[3] ». Non, il ne te prédestinerait pas, si tu existais, et ne t’appellerait pas, si tu n’étais éloigné ; si tu n’étais impie, il ne te justifierait pas, et ne te glorifierait pas, si tu n’étais de terre et de boue. « Qui donc lui a donné le premier et sera rétribué ? Puisque c’est de lui, par lui et en lui que sont toutes choses » ; que lui rendrons-nous ? « A lui la gloire[4] ». Nous n’étions pas, quand il nous a prédestinés ; nous étions éloignés, quand il nous a appelés ; quand il nous a justifiés, nous étions pécheurs : donc rendons-lui grâces et ne demeurons pas ingrats.

4. Nous nous étions proposé d’examiner ce que nous avions déjà et ce qu’il nous restait à acquérir encore des quatre caractères énoncés par saint Paul. Or, dès avant notre naissance, nous avons été prédestinés ; et nous avons été appelés, lorsque nous sommes devenus chrétiens. Voilà ce que nous avons déjà. Mais sommes-nous justifiés ? Où en sommes-nous sous ce rapport ? Oserons-nous dire de ce troisième caractère que nous l’avons aussi ? Y aura-t-il parmi nous un seul homme pour oser dire : Je suis juste ? Je suis juste, signifie, selon moi, je ne suis pas pécheur.

  1. Act. 9, 5
  2. Rom. 11, 34-35
  3. Id. 4, 17
  4. Rom. 11, 36