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a point tourné ses regards vers les vanités et les folies menteuses[1] ».

8. « Ainsi donc, mes frères, nous ne sommes point redevables à la chair, pour vivre selon la chair », comme les Epicuriens. Que dis-je ? Quand l’âme voudra vivre selon elle-même, elle deviendra charnelle, tombant, sans pouvoir se relever, dans les affections charnelles. Eh ! comment se relèverait-elle, puisqu’elle ne s’attache pas au bras libérateur qui lui est tendu ? Si vous vivez selon la chair », dit l’Apôtre, et remarquez que dans ces mots : a Que peut contre moi la chair ? – que peut contre moi l’homme[2] ? » la chair et l’homme sont synonymes ; si vous vivez selon la chair, vous mourrez », non pas de la mort qui sépare l’âme du corps, puisque vous mourrez de cette manière tout en vivant selon l’Esprit ; mais de la mort dont parle le Seigneur de cette façon terrible lorsqu’il dit dans l’Évangile : « Redoutez Celui qui peut précipiter l’âme et le corps dans la géhenne brûlante[3]. – Si donc vous vivez selon la chair, vous mourrez ».

9. « Mais si par l’Esprit vous mortifiez les œuvres de la chair, vous vivrez ». Notre tâche durant cette vie est ainsi de mortifier par l’esprit les œuvres de la chair, de les réprimer, de les restreindre, de les comprimer, de les anéantir chaque jour. Combien de passions, autrefois agréables, sont devenues insipides pour qui a fait quelques progrès ? On les mortifiait, quand on y résistait malgré leurs charmes ; et maintenant qu’elles n’ont plus d’attraits, elles sont comme mortes. Foule aux pieds ce cadavre et cours à ce qui vit encore ; foule aux pieds cet ennemi étendu sans vie et va lutter contre celui qui résiste encore. Car s’il est des passions mortes, il en est d’autres qui vivent ; tu mortifieras celles-ci en n’y consentant pas, et quand pour toi elles n’auront plus rien de flatteur, c’est que tu les auras exterminées. Voilà donc notre tâche, c’est en cela que doit consister pour nous la lutte ; lutte laborieuse où nous avons Dieu pour spectateur, et où nous implorons son secours quand nous combattons avec courage. Sans son aide, en effet, nous ne pourrons vaincre, nous ne pourrons même pas combattre.

10. Aussi voyez ce qu’ajoute l’Apôtre. Il a dit : « Mais si par l’Esprit vous mortifiez les œuvres de la chair, vous vivrez » ; en d’autres termes : Vous vivrez, si vous mortifiez par l’Esprit ces convoitises charnelles qu’il est si glorieux de ne pas suivre et si parfait de ne ressentir plus ; ces œuvres corrompues de la chair, qui cherchent votre mort. Or il était à craindre que chacun ne vînt à compter sur son esprit propre pour repousser ces assauts de la chair. Car on ne dit pas seulement de Dieu qu’il est un Esprit, on le dit aussi de ton âme, de ton intelligence ; comme dans ces mots : « J’obéis par l’intelligence à la loi de Dieu et par la chair à la loi du péché[4] » ; qui signifient : « L’esprit convoite contre la chair et la chair contre l’esprit[5] ». L’Apôtre donc veut t’empêcher de compter sur ton esprit dans cette lutte contre les œuvres de la chair, et d’être victime de l’orgueil, car Dieu résiste à l’orgueilleux comme il donne sa grâce aux humbles, selon ces paroles de l’Écriture : « Dieu résiste aux superbes, mais aux humbles il donne sa grâce[6] ». Et pour détourner de toi cet orgueil fatal, voici ce qu’il ajoute. Après avoir dit : « Si par l’Esprit vous mortifiez les œuvres de la chair, vous vivrez », afin d’ôter à l’esprit humain la pensée de s’élever et de se croire assez puissant et assez fort pour remporter cette victoire, il ajoute aussitôt : « Car tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu ». Pourquoi te pavaner à ces mots : « Si par l’Esprit vous mortifiez les œuvres de la chair, vous vivrez ? » Tu allais dire : Je n’ai besoin pour cela que de ma volonté, que de mon libre arbitre. Que peut, hélas ! ta volonté ? que peut ton libre arbitre ? Si Dieu ne te dirige, tu tombes ; et tu restes tombé, s’il ne te relève. Comment donc compter sur ton esprit, quand l’Apôtre te crie : « Tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu ? » Tu veux te conduire, te mener toi-même pour mortifier ces œuvres de la chair ? Mais que te sert de n’être pas Epicurien, si tu es Stoïcien ? Que tu sois Epicurien ou Stoïcien, tu n’es pas au nombre des fils de Dieu. « Car tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu ». Ce ne sont ni ceux qui vivent selon la chair, ni ceux qui vivent selon leur esprit propre, ni ceux qui suivent les attraits de la chair, ni ceux qui se laissent aller à leur propre esprit,

  1. Psa. 39, 5
  2. Psa. 55, 5, 11
  3. Mat. 10, 28
  4. Rom. 7, 25
  5. Gal. 5, 17
  6. Jac. 4, 6