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SERMON CLVI.
PRÊCHÉ DANS LA BASILIQUE DE GRATIEN, LE JOUR DE LA FÊTE DES MARTYRS DE BOLITE. (16 octobre, vers 417.)
NÉCESSITÉ DE LA GRÂCE[1].

ANALYSE. – C’est en effet l’idée principale que saint Augustin met en relief dans l’explication des versets indiqués. I. En rappelant ce qu’il a dit dans les discours précédents, il montre que la grâce est nécessaire pour la justification. La loi ne justifiait pas ; elle faisait plutôt sentir au pécheur son impuissance et le pressait d’implorer la médiation et la puissance du Sauveur. II. Il ne suffit pas d’avoir été justifié, il faut de plus mener une vie sainte, vivre selon l’esprit de Dieu et non pas selon la chair. Or l’Esprit de Dieu ou sa grâce nous est également indispensable pour vivre saintement ; non pas seulement, comme le prétendent quelques-uns, pour mener plus facilement une vie sainte, mais absolument pour pouvoir faire le bien, car sans la grâce nous en sommes incapables, et notre liberté ne peut que nous conduire au mal. III. Il s’ensuit qu’avec la grâce et la fidélité à la grâce, nous devons compter sur l’héritage des enfants de Dieu, sur la possession et la jouissance de notre Père qui est aux cieux. Ainsi la grâce est nécessaire pour nous tirer du péché, pour nous aider à mener une vie sainte, pour nous conduire au ciel. 1. La profondeur de la parole de Dieu exerce notre zèle sans refuser de se faire comprendre. Car si tout y était fermé, comment en pénétrerait-on les obscurités ; et si tout y était enfoui, comment l’âme y trouverait-elle sa nourriture et la force d’en sonder les mystères ? En expliquant à votre charité, avec l’aide qu’il a plu au Seigneur de nous accorder, les passages précédents de l’Apôtre, nous avions beaucoup de peine et d’inquiétude. Nous compatissions à vos besoins et nous étions soucieux non-seulement pour vous mais encore pour nous. Cependant, si je ne m’abuse, le Seigneur a pris pitié de nous tous, et par notre ministère il a daigné jeter de telles lumières sur ce qui nous semblait le plus impénétrable, qu’un esprit pieux n’y voit plus de problème à résoudre. Quant aux impies, ils ont horreur de l’évidence même ; on voit de ces malheureux profondément pervertis redouter de connaître pour ne pas se sentir forcés de pratiquer. C’est de ces hommes qu’il est dit dans un psaume : « Ils ont refusé de comprendre de peur de faire le bien[2] ». Pour vous, mes bien-aimés, car il convient que j’aie des idées avantageuses de vous, vous demandez à comprendre comme Dieu demande que vous fassiez le bien. Car, est-il écrit, « tous ceux qui le servent ont un esprit droit[3] ». Il est vrai, ce qu’il nous reste à expliquer, ce qu’on vient de lire, ne présente pas autant de difficultés que nous en avons rencontrées dans ce qui précède, et pourtant soutenus par la main de Dieu nous avons pu franchir ces passages périlleux. Il faut toutefois vous appliquer encore ; car c’est ici comme la conclusion de ces propositions épineuses où il fallait prendre garde de faire de l’Apôtre un homme couvert en quelque sorte de tous les crimes, puisqu’il disait lui-même : « Je ne fais pas ce que je veux[4] ». Il fallait prendre garde aussi de laisser croire d’une part que la loi divine avec le libre arbitre pût suffire à l’homme sans aucun autre secours du ciel, et d’autre part qu’elle ait été donnée inutilement. Voilà pourquoi nous avons expliqué le bien qu’elle était appelée à produire, sans toutefois remplacer la grâce.

2. Nous l’avons dit clairement en effet, vous devez vous en souvenir, et nous ne craignons pas de le répéter avec une force et un soin nouveau : le but de la loi était de faire connaître l’homme à lui-même, non pas de le guérir, mais de le déterminer à recourir au médecin en voyant les prévarications se multiplier proportionnellement à sa faiblesse[5]. Or, quel est ce médecin, sinon Celui qui a dit : « Le médecin est nécessaire, non à qui se porte bien, mais à qui est malade[6] ? » Mais de même que ne reconnaître pas le Créateur, c’est nier avec orgueil qu’on soit redevable de son être à quelqu’un ; ainsi nier qu’on soit malade, c’est prétendre qu’un Sauveur est inutile. Pour nous, mieux inspirés, bénissons notre Créateur, et pour guérir les plaies que nous nous sommes faites,

  1. Rom. 8, 12-17
  2. Psa. 35, 4
  3. Psa. 110, 10
  4. Rom. 7, 15
  5. Ci-dessus, serm. CLV. n. 4
  6. Mat. 9, 12