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pas de vous. Vous ne me dites rien sans doute, car en ce lieu c’est à moi de porter la parole et à vous de l’entendre en silence ; il est possible cependant que vous vous disiez à vous-mêmes : Je veux faire la paix, mais c’est lui qui m’a blessé, qui m’a offensé et il se – refuse à demander pardon. – Que vais-je répondre ? Dirai-je : Va le trouver et lui demande grâce ? Nullement. Je ne veux pas te pousser au mensonge ; je ne veux pas que tu dises : Pardonne-moi, quand tu as la conscience de n’avoir pas manqué à ton frère. À quoi bon t’accuser ? Pourquoi demander grâce à qui tu n’as pas manqué, à celui que tu n’as pas blessé ? Cette démarche ne te profiterait pas, ne la fais point. Tu sais, tu sais après examen sérieux, que c’est de lui que vient l’offense, et non de toi. – Je le sais. – Eh bien ! que ta conscience soit en repos sur cette certitude bien fondée. Ne va point trouver ce frère qui t’a manqué, ni lui demander spontanément pardon. Entre toi et lui doivent se trouver des pacificateurs qui lui représentent son devoir et l’amènent à te demander grâce d’abord ; il importe seulement que de ton côté tu sois disposé à l’accorder, entièrement prêt à pardonner du fond de ton cœur. La disposition à pardonner est le pardon déjà octroyé. Tu dois pourtant prier encore, prier pour obtenir qu’il te demande pardon : convaincu qu’il perd à ne le demander pas, prie pour qu’il le demande, et dans ta prière dis au Seigneur : Vous savez, Seigneur, que je n’ai pas manqué à mon frère un tel, mais que c’est lui qui m’a manqué ; vous savez encore qu’il lui est funeste de ne pas me demander pardon après m’avoir manqué ; je vous conjure donc avec amour de lui pardonner.

6. Je viens de vous rappeler ce que main tenant surtout, durant ces jours de jeûnes, de saintes pratiques et de continence, vous devez faire aussi bien que moi pour vous réconcilier avec vos frères. Procurez-moi la joie de vous voir en paix, puisque vous me faites la peine de vous voir en querelles ; et vous pardonnant mutuellement les torts que vous pouvez avoir l’un contre l’autre ; mettons-nous en état de faire tranquillement la Pâque, de célébrer sans inquiétude la Passion de Celui quine devant rien à personne a payé pour tous ; je veux parler de Jésus-Christ Notre-Seigneur ; car il n’a offensé personne ; presque tous au contraire l’ont offensé ; et pourtant loin d’exiger de nous des supplices, il nous a promis des récompenses. Eh bien ! il voit dans nos cœurs que si nous avons offensé quelqu’un, nous lui demandons sincèrement pardon ; que si quelqu’un nous a offensés, nous sommes disposés à lui pardonner et à prier pour nos ennemis. Ne demandons pas à nous venger, mes frères ? Qu’est-ce que se venger, sinon jouir des maux d’autrui ? Je le sais, il vient chaque jour des hommes qui fléchissent le genou, qui se prosternent le front dans la poussière, qui quelquefois même s’arrosent le visage de leurs larmes, et qui disent au milieu de cette émotion et dans cette attitude si humble : Vengez-moi, Seigneur, faites périr mon ennemi. Eh bien ! oui, demande que le Seigneur fasse périr ton ennemi, et qu’il sauve ton frère ; qu’il détruise l’inimitié, et préserve la nature ; demande à Dieu qu’il mette à mort ce qui te persécutait en lui, mais qu’il, le conserve lui-même pour le rendre à ton amitié.