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donner à ton frère et tu vas dire : « Comme nous pardonnons nous-mêmes à ceux qui nous ont offensés[1] ? » Ne diras-tu pas cela ? Alors tu n’obtiendras pas. Le diras-tu ? Ce sera mentir. Dis-le plutôt et dis-le sincèrement. Comment le dire sincèrement après avoir refusé de remettre le tort à ton frère ?

4. Je viens donc d’avertir ce malheureux ; et maintenant je reviens à toi pour te consoler, à toi qui que tu sois, si cependant il en est ici, qui as dit à ton frère : Pardonne-moi cette offense envers toi. Je suppose donc que tu as dit cela de tout ton cœur, avec une humilité vraie, avec une charité sincère, que tu n’as dit que ce que voit dans ton âme le regard de Dieu, et que néanmoins on t’a refusé le pardon demandé, eh 50 bien ne t’inquiète pas : toi et ton frère vous êtes des serviteurs, vous avez un Maître commun ; tu dois à ton frère et il ne veut pas te tenir quitte, adresse-toi au Maître de tous deux ; une fois que ce Maître t’aura donné quittance, que pourra exiger de toi son serviteur ? Voici autre chose. À celui qui refuse le pardon que lui demande son frère, j’ai donné l’avis de surmonter sa répugnance, attendu qu’en priant il n’obtiendrait pas lui-même ce qu’il désire. J’ai parlé aussi à celui qui, sans l’obtenir, a demandé à son frère le pardon de sa faute ; je lui ai dit que s’il n’a pas obtenu de son frère, il peut compter sur son Dieu. J’ai à dire encore autre chose : Ton frère a-t-il péché contre toi et refuse-t-il de t’adresser ces mots Pardonne-moi mes torts ? Combien de fois ne rencontre-t-on point ce cas ? Ah : si Dieu voulait arracher cette plante de son champ, ce sentiment de vos cœurs ! Combien n’en est-il pas qui ont la conscience d’avoir manqué à leurs frères et qui refusent de prononcer ces mots : Pardonne-moi ! Hélas ! ils n’ont pas rougi de pécher, et ils rougissent de demander ; ils n’ont pas rougi de commettre l’iniquité, et ils rougissent de pratiquer l’humilité ? C’est à eux que je m’adresse d’abord. Vous donc qui êtes en discorde avec vos frères, vous qui en vous recueillant, en vous examinant, en vous jugeant selon la vérité et au fond du cœur, reconnaissez que vous auriez dû ne faire ni ne dire ce que vous avez dit ou fait, demandez pardon à vos frères, représentez-leur cette recommandation de l’Apôtre : « Vous pardonnant les uns aux autres, comme Dieu même nous a pardonnés en Jésus-Christ[2] » ; allez, ne rougissez pas de demander grâce. C’est à tous que je dis ceci, aux hommes et aux femmes, aux petits et aux grands, aux laïques et aux ecclésiastiques : je me le dis également à moi-même. Tous, prêtons l’oreille, craignons tous. Oui, si nous avons manqué à nos frères, et que la mort nous accorde encore quelque délai, nous ne sommes point perdus ; nous ne le sommes point, puisque nous vivons et que nous ne sommes point encore au nombre des réprouvés ; eh bien 50 puisque nous sommes encore en vie, faisons ce que nous ordonne notre Père, lequel se montrera bientôt notre Dieu et notre juge, et demandons pardon à ceux de nos frères que nous pouvons avoir offensés ou blessés en leur manquant de quelque manière. Il y a toutefois des personnes d’humble condition dans ce monde, qui s’enorgueilliraient si on leur demandait pardon. Ainsi un maître manque à son serviteur ; il lui manque, car s’il est maître et l’autre serviteur, ils n’en sont pas moins tous deux serviteurs d’un autre maître, puisque tous deux sont rachetés au prix du sang de Jésus-Christ. On semblerait toutefois bien sévère envers le maître à qui il serait arrivé de manquer à son serviteur en le grondant ou en le frappant injustement, si on lui imposait l’obligation de dire : Use d’indulgence, pardonne-moi. Sans doute il doit le faire, mais il est à craindre que le serviteur ne commence à s’enfler d’orgueil. Que faire alors ? Que le maître se repente devant Dieu, qu’il se punisse intérieurement devant Dieu ; et s’il ne peut, s’il ne doit pas dire à son serviteur : Fais-moi grâce, qu’il lui parle avec douceur. Un doux langage est quelquefois une demande de pardon.

5. Il me reste à adresser la parole à ceux qui ont été offensés et à qui on a refusé de demander pardon. J’ai dit ma pensée à ceux qui ont refusé ce pardon quand on l’implorait ; mais aujourd’hui, dans ce saint temps où je vous presse tous de ne laisser subsister rien de vos discordes, il me semble qu’à plusieurs d’entre vous s’est présentée une pensée secrète. Vous savez donc qu’il y a entre vous et vos frères quelques sujets de discordes ; mais vous êtes convaincus que l’offense vient d’eux et non

  1. Mat. 6, 9-12
  2. Eph. 4, 32