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miséricorde comme on en avait usé envers lui au sujet de sa dette de dix mille talents'. Or, en ce genre de bonnes œuvres aucune excuse n’est valable, puisqu’il ne faut que de la volonté. On peut dire quelquefois Je ne puis jeûner, car j’aurais mal à l’estomac. On peut dire encore : Je voudrais donner aux pauvres, mais je n’ai rien, ou bien : J’ai si peu qu’en donnant je crains de tomber dans la misère. Remarquons toutefois que souvent, dans ces circonstances, on imagine de fausses excuses, parce qu’on n’en a pas de solides. Mais peut-on dire jamais : Si je n’ai pas accordé le pardon qui m’était demandé, c’est que j’en ai été empêché par ma faible santé, ou que je n’avais aucun moyen de le faire parvenir ? Remets, pour qu’on te remette. Il ne s’agit pas ici de bonne œuvre corporelle ; pour accorder ce qui est demandé, il ne faut pas même à l’âme le concours d’un seul des membres du corps. C’est la volonté qui fait, qui accomplit tout. Agis donc, donne sans inquiétude ; tu n’auras aucune douleur à endurer dans ton corps, aucune privation à subir dans ta maison. O mes frères, quel crime de ne pardonner pas à un frère qui se repent, quand on est obligé d’aimer son ennemi même ! Puisqu’il en est ainsi et puisqu’il est écrit « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère[1] » ; je vous le demande, mes frères, doit-on appeler chrétien celui qui maintenant au moins ne veut pas en finir avec des inimitiés que jamais il n’aurait dû contracter ?


SERMON CCXI. POUR LE CARÊME. VII. DU PARDON DES INJURES.

ANALYSE. – Le temps même où nous sommes nous invite à vivre en paix : avec nos frères et à leur pardonner leurs torts. Comment prier, comment se mettre en face de ce que dit l’Écriture contre ceux qui conservent de la haine, si on ne pardonne pas ? – Je voudrais pardonner, mais lui ne veut pas de réconciliation ? C’est son malheur et ce n’est plus ta faute. – Je voudrais pardonner, mais lui ne veut pas me demander pardon ? Remarque qu’il ne doit pas te le demander s’il ne t’a point offensé ; s’il est ton supérieur, s’il a à craindre de te nuire et de t’inspirer de l’orgueil en te demandant pardon, il doit te faire, sentir autrement, comme par quelques paroles bienveillantes, qu’il se repent de t’avoir manqué. Supposons maintenant qu’il te doive demander pardon et qu’il ne le fasse pas ; comme tu es très-sincèrement disposé à le lui accorder, tu n’es pas répréhensible. – Beaux exemples de pardon que nous donne Jésus-Christ !

1. Ces saints jours que nous consacrons à l’observation du Carême, nous invitent à vous entretenir de l’union fraternelle, à vous engager d’en finir avec les ressentiments que vous pouvez avoir contre autrui, pour qu’on n’en finisse pas avec vous. Gardez-vous de dédaigner ceci, mes frères. Cette vie fragile et mortelle, cette vie qui rencontre tant d’écueils et de tentations dans ce monde et qui demande la grâce de ne pas sombrer, ne peut, hélas ! rester exempte de quelques péchés, dans les justes eux-mêmes. Il n’y a donc pour la préserver qu’un seul moyen, c’est celui que nous a indiqué Dieu notre Maître en nous ordonnant de dire dans la prière : « Remettez-nous nos offenses comme nous remettons nous-mêmes à ceux qui nous ont offensés[2] ». Nous avons fait un pacte, un contrat avec le Seigneur ; nous avons apposé notre signature sur l’acte qui dit à quelle condition il nous pardonnera nos fautes. Avec pleine confiance nous lui demandons de nous pardonner, si nous pardonnons nous-mêmes. Si donc nous ne pardonnons pas, ne croyons

  1. Eph. 4, 26
  2. Mat. 6, 12