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plus de grâce pour le salut, c’est qu’on est excité par la joie bien plus vive de la fête.

3. Ne pourrait-on pas signaler aussi quelle différence existe entre le baptême de Jean, reçu alors par Jésus-Christ, et le baptême de Jésus-Christ, reçu aujourd’hui par les fidèles ? De ce que Jésus-Christ soit au-dessus du chrétien, il ne s’ensuit pas que le baptême reçu par Jésus-Christ soit au-dessus du baptême reçu aujourd’hui par le chrétien ; ce dernier au contraire l’emporte sur l’autre précisément parce qu’il a été établi par Jésus-Christ. Jean en effet baptisa le Christ au moment où il publiait combien il lui était inférieur ; mais c’est le Christ qui baptise le chrétien, quand il s’est montré si supérieur à Jean. Ainsi en est-il de la circoncision de la chair : Jésus-Christ a été circoncis, le chrétien ne l’est pas aujourd’hui ; mais sur cette circoncision l’emporte le sacrement qui nous fait ressusciter avec le Sauveur, et qui est pour le chrétien une espèce de circoncision le dépouillant de sa vie ancienne et charnelle et lui faisant entendre ces paroles de l’Apôtre : « Comme le Christ est ressuscité d’entre les morts par la gloire du Père, nous aussi menons une vie nouvelle (1) ». Ainsi en est-il encore de la Pâque antique, qu’on devait célébrer en immolant un agneau de ce que le Christ l’ait célébrée avec ses disciples, il ne faut pas conclure qu’elle soit préférable à noire Pâque, qui consiste dans l’immolation du Christ lui-même. Si le Sauveur a daigné recevoir sur la terre ces sacrements anciens qui annonçaient son futur avènement, c’était pour nous donner des exemples d’humilité et de religion, c’était pour nous apprendre avec quel respect nous devons recevoir ces autres sacrements qui nous montrent ce même avènement comme étant accompli. Ainsi donc, quand le Christ a jeûné aussitôt après avoir reçu le baptême de Jean, on ne doit pas croire qu’il ait voulu nous commander de l’imiter en jeûnant aussitôt après avoir reçu son propre baptême ; il a prétendu seulement nous apprendre par son exemple qu’il est nécessaire de jeûner quand il nous arrive d’avoir à lutter plus énergiquement contre le tentateur. Aussi, après avoir daigné se faire homme, le Seigneur, pour apprendre au chrétien par son autorité à ne se pas laisser vaincre par l’ennemi, n’a pas dédaigné d’être tenté comme les hommes. Que ce soit donc aussitôt après avoir reçu le baptême, ou à tout autre moment que l’homme soit attaqué par des tentations semblables, il doit alors recourir au jeûne. Le corps combattra en se mortifiant ainsi, et l’esprit remportera la victoire en s’humiliant par ce moyen. Par conséquent la cause de ce jeûne, modèle et divin, n’est pas le baptême reçu dans le Jourdain, mais la tentation causée par le démon.

4. Maintenant, pourquoi est-ce avant le jour où nous solennisons la Passion du Seigneur que nous jeûnons, tandis que nous interrompons notre jeûne durant les cinquante jours qui suivent ? En voici la raison. Quiconque entend bien le jeûne qu’il pratique a pour but, soit de s’humilier, avec une foi sincère, par les gémissements de la prière et la mortification du corps ; soit de se détourner des plaisirs de la chair en goûtant les douceurs spirituelles de la sagesse et de la vérité, et en souffrant volontairement la faim et la soif. Le Seigneur parla de ces deux espèces de jeûne lorsqu’on lui demanda pourquoi se s disciples ne jeûnaient point. Il dit en effet du premier, qui a pour but l’humiliation de l’âme « Les fils de l’Époux ne sauraient être en deuil, tant que l’Époux est avec eux ; mais viendra le moment où l’Époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront ». Voici ce qu’il ajoute relativement à la seconde espèce de jeûne, qui se propose de nourrir l’esprit : « Personne ne met une pièce de neuve étoffe à un vieux vêtement ; ce serait le déchirer davantage. On ne met point non plus du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement les outres se rompent et le vin se répand ; mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et tous les deux se conservent[1] ». Concluons que l’Époux nous étant enlevé, nous qui sommes ses fils, nous devons être en deuil. Il l’emporte en beauté sur tous les enfants des hommes, la grâce est répandue sur ses lèvres[2] ; et pourtant il n’avait ni grâce ni beauté sous la main de ses persécuteurs, et sa vie a disparu de la terre[3]. Ah ! notre deuil n’est que trop légitime si nous brûlons du désir de le voir. Heureux ceux qui ont pu jouir de sa présence avant sa Passion, l’interroger à l’aise et l’entendre comme ils en avaient besoin ! Les patriarches, avant son

  1. Mat. 9, 15-17
  2. Psa. 44, 3
  3. Isa. 53, 2, 8