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4. « Que dirons-nous donc ? » s’écrie-t-il immédiatement après les paroles précédentes ; « Que dirons-nous donc ? la loi péché ? loin de là ». Ce seul mot suffit pour absoudre la loi et pour condamner celui qui l’accuse. Tu t’appuyais contre moi, ô Manichéen, sur l’autorité de l’Apôtre, et pour dénigrer la loi tu me disais : Écoute, lis l’Apôtre : « Les passions du péché, occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres de manière à leur faire porter des fruits pour la mort ; mais aujourd’hui nous sommes affranchis de la loi de mort qui pesait sur nous pour obéir dans la nouveauté de l’esprit et non dans la vétusté de la lettre ». Ainsi te vantais-tu ; tu criais, tu disais : Écoute, lis, vois, et tournant promptement le dos, tu cherchais à t’échapper. Attends : je t’ai écouté, écoute-moi ; ou plutôt ne nous écoutons ni l’un ni l’autre, mais tous deux écoutons l’Apôtre : vois comme en – se justifiant il te condamne. « Que dirons-nous donc ? » demande-t-il : « La loi péché ? » C’est ce que tu prétendais ; tu disais réellement que la loi est péché ». Oui, voilà ce que tu soutenais, voici maintenant ce qu’il te faut soutenir. Tu, accusais donc de péché la loi de Dieu, quand tu la censurais en aveugle et en téméraire. Tu t’égarais ; Paul s’en est aperçu, et il a pris ton langage. « Que dirons-nous donc ? La loi est-elle péché ? » Disons-nous comme toi que la loi est péché ? loin de là ». – Si donc tu t’attachais à l’autorité de l’Apôtre, pèse ces mots et avise ensuite. Écoute : « La loi péché ? loin de là ». Écoute ce « loin de là ». Oui, si tu es disciple de cet Apôtre, si tu as une haute idée de son autorité, écoute ce loin de là », et éloigne toi-même ton sentiment. « Que dirons-nous donc ? » Que conclurons-nous ? Si j’ai dit : « Les passions du péché, occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres, afin de leur faire porter des fruits pour la mort » ; si j’ai dit : « Nous sommes affranchis de la loi de mort qui pesait sur nous » ; si j’ai dit : « Obéissons dans la nouveauté de l’esprit et non dans la vétusté de la lettre », s’ensuit-il que « la loi est péché ? loin de là ». Pourquoi donc, ô Apôtre, avoir dit tout ce que vous venez de dire ?

5. Non, la loi n’est pas péché. « Toutefois je n’ai connu le péché que par la loi ; car je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi ne disait : Tu ne convoiteras point ». À mon tour maintenant de t’interroger, Manichéen ; je t’interroge, réponds-moi. Comment appeler mauvaise une loi qui dit : « Tu ne convoiteras point ? » Un débauché même, l’homme le plus dégradé ne l’affirmera jamais. Les libertins en effet ne rougissent-ils pas quand on les reprend, et ne craignent-ils pas de s’abandonner à leurs infamies au sein d’une compagnie honnête ? Ah ! si tu condamnes cette loi qui crie : « Tu ne convoiteras point », c’est que tu voudrais convoiter impunément ; tu ne l’accuses que parce qu’elle réprime tes passions. Mes frères, quand nous n’entendrions pas ces mots de l’Apôtre : « La loi péché ? loin de là » ; mais seulement cette citation de la loi : « Tu ne convoiteras pas » ; oui, quand même il ne ferait pas l’éloge de la loi, nous devrions le faire ; nous devrions la louer et nous condamner. N’est-ce pas cette loi, n’est-ce pas cette autorité divine qui crie aux oreilles de l’homme : « Tu ne convoiteras point ? » – « Tu ne convoiteras pas » ; blâme cela, si tu le peux, et si tu ne le peux, mets-le en pratique. « Tu ne convoiteras point » ; tu n’oses condamner cette défense. Elle est donc bonne, et la concupiscence est mauvaise. Ainsi la loi interdit le mal, la loi te défend ce qui ferait ton mal. Oui la loi défend la convoitise comme un mal et comme ton mai. Fais ce qu’elle ordonne, évite ce qu’elle défend, garde-toi de la concupiscence.

6. Que dit pourtant encore l’Apôtre ? Je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi ne disait : Tu ne convoiteras point ». J’allais à la remorque de ma convoitise, je courais où elle m’entraînait, et je regardais comme un grand bonheur de jouir de ses séductions et de ses embrassements charnels. La loi même ne dit-elle pas : « On glorifie le pécheur des désirs de son âme, et on bénit l’artisan d’iniquités[1] ? » – Voici un homme qui se livre en esclave et tout entier aux passions charnelles ; partout il guette le plaisir, la fornication et l’ivresse : je n’en dis pas davantage, j’énumère simplement la fornication et l’ivresse, ce qu’interdit la loi de Dieu et ce que n’interdisent pas les lois humaines. Qui jamais, en effet, fut traduit devant un juge pour avoir pénétré dans la demeure d’une prostituée ? Qui jamais a été accusé devant les

  1. Psa. 9, 3